Le roi, froid et blême, gisait dans son grand et magnifique lit. Toute la cour le croyait mort, et chacun s?empressa d?aller accueillir le nouveau roi, les serviteurs sortirent pour en discuter et les femmes de chambres se rassemblèrent autour d?une tasse de café. Partout, dans toutes les salles et tous les couloirs, des draps furent étendus sur le sol, afin qu?on n?entende pas le bruit des pas ; ainsi, c?était très silencieux. Mais le roi n?était pas encore mort : il gisait, pâle et glacé, dans son magnifique lit aux grands rideaux de velours et aux passements en or massif. Tout en haut s?ouvrait une fenêtre par laquelle les rayons de lune éclairaient le roi et l?oiseau mécanique. Le pauvre roi pouvait à peine respirer ; c?était comme si quelque chose ou quelqu?un était assis sur sa poitrine. Il ouvrit les yeux et, là, il vit que c?était la Mort. Elle était coiffée d?une couronne d?or, tenait dans une main le sabre du roi et dans l?autre, sa splendide bannière. De tous les plis du grand rideau de velours surgissaient toutes sortes de têtes au visage parfois laid, parfois aimable et doux. C?étaient les bonnes et les mauvaises actions du roi qui le regardaient, maintenant que la Mort était assise sur son c?ur. «Te souviens-tu d?elles ?», dit la Mort. Puis elle lui raconta tant de ses actions passées que la sueur en vint à lui couler sur le front. «Cela, je ne l?ai jamais su !», dit le roi. «De la musique ! De la musique ! Le gros tambour, cria-t-il, pour que je ne puisse entendre tout ce qu?elle dit !» Mais la Mort continua de plus belle, en faisant des signes de tête à tout ce qu?elle disait. «De la musique ! De la musique, criait le roi. Toi, cher petit oiseau d?or, chante donc, chante ! Je t?ai donné de l?or et des objets de grande valeur, j?ai suspendu moi-même mes pantoufles d?or à ton cou ; chante donc, chante !» Mais l?oiseau n?en fit rien ; il n?y avait personne pour le remonter, alors il ne chanta pas. Et la Mort continua à regarder le roi avec ses grandes orbites vides. Et tout était calme, terriblement calme. Tout à coup, venant de la fenêtre, on entendit le plus merveilleux des chants : c?était le petit rossignol, plein de vie, qui était assis sur une branche. Ayant entendu parler de la détresse du roi, il était venu lui chanter réconfort et espoir. Et tandis qu?il chantait, les visages fantômes s?estompèrent et disparurent, le sang se mit à circuler toujours plus vite dans les membres fatigués du roi, et même la Mort écouta et dit : «Continue, petit rossignol ! Continue !» «Bien, me donnerais-tu le magnifique sabre d?or ? Me donnerais-tu la riche bannière ? Me donnerais-tu la couronne du roi ?» La Mort donna chacun des joyaux pour un chant, et Rossignol continua à chanter. Il chanta le tranquille cimetière où poussent les roses blanches, où les lilas embaumement et où les larmes des survivants arrosent l?herbe fraîche. Alors la Mort eut la nostalgie de son jardin, puis elle disparut par la fenêtre, comme une brume blanche et froide. (à suivre...)