Il était un grand Sultan (et Dieu seul est grand) qui cherchait un vizir. Il ordonna au crieur public d'annoncer la nouvelle pour rassembler les hommes du pays et leur soumettre une énigme. Le crieur fit son travail et alla clamer : — Ecoutez tous ! Ecoutez que Dieu vous fasse entendre ! Le Sultan fait savoir qu'il cherche un conseiller intelligent. Celui qui résoudra l'énigme deviendra vizir. Une fois les hommes réunis, le Sultan demanda : — C'est un arbre qui possède douze branches ; chacune des branches comporte trente feuilles et chacune des feuilles renferme cinq graines ! De quoi s'agit-il ? Vous avez toute la nuit pour réfléchir. Mais, retenez bien cela, l'homme qui me rapportera la réponse doit arriver au palais, nu et habillé à la fois ; il doit, également, marcher et être transporté à la fois. Celui d'entre vous qui réussira sera mon vizir et je ferai sa gloire et sa fortune. Les hommes se dispersèrent. Un paysan ambitieux se trouvait dans la foule. Il rentra chez lui et s'adressa à sa fille qu'il savait futée et intelligente : — Aide-moi ma fille à trouver la réponse, je serai vizir et tu auras la vie que tu mérites. Lorsque la jeune fille entendit l'énigme, elle déclara aussitôt à son père : — Père, c'est facile ! L'arbre représente l'année, les branches les douze mois, les feuilles les jours. Quant aux graines, elles sont les cinq prières quotidiennes qu'effectue le musulman. Mais comment être nu et habillé à la fois ? Comment se déplacer à pied tout en étant transporté ? ajoute le père. Cela est aussi simple que le reste, déclara la fille. Demain, tu te lèveras tôt et tu t'habilleras du seul vêtement que je vais te confectionner cette nuit à partir d'un filet de pêcheur. Tu seras, ainsi, nu et habillé à la fois. Ensuite, tu n'auras qu'à monter sur notre jeune baudet aux pattes encore bien courtes. Dieu merci, tu as de longues jambes, elles toucheront le sol et tu pourras ainsi marcher tout en étant à dos d'âne. L'homme remercia sa fille et alla se coucher. A l'aube, il fut le premier à se présenter au Sultan. Le paysan avait suivi à la lettre toutes les consignes de sa file. Le Sultan admet l'ingéniosité de l'homme et le déclara vizir. Depuis ce jour, les affaires du palais et du royaume furent résolues avec intelligence, finesse et sagesse. Le vizir consultait sa fille pour tout. Mais, avec le temps, le Sultan n'arrivait pas à croire que son vizir avait une intelligence si pointue. Un jour, il l'interrogea : — Voilà un moment que je t'observe et je n'arrive pas à croire qu'un homme puisse trouver des solutions tellement subtiles, profondes, quelquefois originales je l'avoue, mais toujours efficaces. Seule une intelligence féminine en est capable. Quel est ton secret ? Qui te conseille ? Eclaire-moi en me disant la vérité et tu seras pardonné. Mais si je découvre que tu m'as menti, je te ferai trancher la tête. Le vizir se mit à genoux et avoua. Le Sultan, qui n'était pas encore marié parce qu'il n'avait pas trouvé de femme digne de lui, demanda la main de la fille de son vizir sur-le-champ. Voilà comment la fille du paysan fit de son père un vizir et du Sultan son mari ! Le Sultan exigea cependant de sa jeune épouse qu'elle lui promette de ne jamais le contredire ni réfuter ses jugements ou ses décisions s'il ne la consultait pas. Elle en fit le serment. Ils vécurent heureux et le temps s'écoula dans la sérénité et le bonheur.