Quand le Renard rusé avait faim, il courait à droite, à gauche, pour trouver quelque chose à manger. Un jour qu'il se promenait parmi les vergers, il arrive à un vignoble clos, aux raisins abondants, et s'y introduit par le trou d'écoulement situé au pied du mur. Les raisins sont bien à point, il en mange tant qu'à la fin son ventre gonfle. Comme il n'y a pas d'autre issue, il retourne au trou pour s'en aller, essaye de s'y glisser mais son ventre ne passe pas, alors de guerre lasse, il se couche, retrousse les babines, et reste étendu de tout son long pour qu'on le croie mort. Le propriétaire du vignoble arrive et voit le renard mort : «Ah, vaurien, fils de... ! Tu as mangé, mangé, maintenant te voilà mort au beau milieu de ma vigne !», et donnant un coup de pied au renard, il l'attrape par la queue et le balance dehors. Aussitôt, le renard se lève et s'enfuit, en disant : — Merci mon Seigneur Dieu ! De là aussi je m'en suis tiré ! Le lendemain il va trouver ses camarades : — Les amis, j'ai acheté à tel endroit la récolte d'un vignoble. Allons-y ! — Très bien, disent les autres. En passant au coin d'une rue, il trouve par terre un papier sans valeur et le montre aux autres : — Voilà, c'est le contrat du vignoble dont j'ai acheté la récolte ! Elle se trouve là. Allez, en route ! Ils arrivent ainsi au vignoble de la veille. Ils entrent par le trou d'écoulement. Notre Renard, fort de son expérience et sachant ce qui lui arriverait, mange un peu et va, de temps en temps, se mesurer au trou. Rassasié au point que son ventre passe juste par le trou, il s'arrête de manger. Les autres mangent, mangent, jusqu'à être bien rassasiés... Un peu plus loin, le propriétaire du vignoble, une corde à la main, arrive droit vers eux, en sifflotant. Les renards, entendant cela, essaient de se sauver tout en demandant à leur ami : «Eh ! Et celui-ci, qui est-ce ? — Le propriétaire de la vigne. — Tu nous avais pourtant dit : «j'ai acheté la récolte de la vigne.» Lis donc le contrat que tu détiens ! — Les amis ! Il n'est plus guère question de récolte. Maintenant, ce n'est pas le moment de lire, ça barde tellement ! Débrouillez-vous pour sauver vos têtes !» Notre Renard laisse là ses camarades et sort par le trou, pendant que les autres tournent à l'intérieur du vignoble comme des toupies, pour ne pas se faire attraper par le propriétaire. Le Renard rusé, de l'autre côté, leur crie : — Hier, moi aussi, j'étais comme ça. Comme je ne pouvais sortir par le trou, j'ai retroussé mes babines et je me suis étendu de tout mon long, l'homme est venu, et, me croyant mort, il m'a balancé dehors. Vous aussi, il vous jettera dehors, vous aussi retroussez vos babines, couchez-vous comme cela ! Comme il n'y avait pas d'autre solution, les renards enfermés suivent ce conseil. Ils retroussent leurs babines, s'allongent comme morts. Mais le propriétaire des lieux : — Espèce de vauriens, fils de ... ! Hier, l'un d'entre vous s'est moqué de moi, il faisait le mort, je l'ai jeté dehors, il s'est bel et bien sauvé. Cette fois-ci est-ce que je vais me laisser prendre ? Il a tiré un gros bâton et les a rossés si fort que le poil des renards en fut tout hérissé.