Selon la mythologie grecque, Léda était l'épouse de Tyndare, roi de Sparte. Elle fut séduite comme beaucoup d'autres par Zeus ; celui-ci, pour endormir sa méfiance, prit la forme d'un cygne. Une fois la chose faite, Léda donna le jour à deux œufs. De l'un sortirent Castor et Pollux. De l'autre sortirent des jumelles : Hélène, la belle entre les belles, pour qui la guerre de Troie eut bien lieu, et sa sœur Clytemnestre, qui n'hésita pas à faire assassiner son époux Agamemnon alors qu'il revenait de Troie, justement. Bien triste histoires d'amour contre nature lourdes de conséquences et génératrices de massacres en série... Ce thème de Léda, prête à succomber, en compagnie d'un cygne toujours blanc, a depuis longtemps inspiré les peintres. Ce mélange de nudité féminine et de courbes animales immaculées est riche de possibilités. Léonard de Vinci l'a illustré, Michel-Ange aussi ; le Corrège s'est également décidé, un jour, à en donner sa version. Antonio Allegri est né à Correggio, près de Parme, vers 1489. On dit qu'il a été très inspiré par Mantegna, célèbre pour son Christ mort, vu dans une perspective d'un «raccourci» admirable. Il produit beaucoup et subit diverses influences successives qui le poussent vers un maniérisme délicieusement érotique. On lui doit de nombreuses madones et une multitude d'angelots dont certains, aux oreilles pointues et au regard ambigu, ont comme une arrière-pensée diabolique. Vers 1530, le duc de Mantoue, Frédéric-Gonzague, lui demande d'illustrer les amours de Zeus, et c'est pourquoi le Corrège peint sa Léda. Malgré une éclatante carrière, la réputation du Corrège subissait alors une éclipse. Certains lui reprochaient de ne pas savoir dessiner, d'autres s'offusquaient de son érotisme. Il tombait donc un peu dans l'oubli, et il faudra attendre que de doctes professeurs se penchent à nouveau sur son œuvre, à partir de 1871, pour qu'il retrouve la place qu'il méritait. Cela explique l'histoire qui suit. La Léda exécutée pour Frédéric-Gonzague de Mantoue passe dans les collections de Charles Quint, qui n'avait pas encore sombré dans la mélancolie morbide de la fin de sa vie. Puis c'est son fils, Philippe Il, qui en hérite. Elle se retrouve alors dans la collection personnelle d'Antonio Perez, secrétaire, confident intime et homme de main du roi. Dénoncé pour malversations, il accuse le souverain et doit fuir en France, pour se placer sous la protection du bon Henri IV. Mais il a dû se séparer de ses riches collections. Le tableau devient la propriété d'un sculpteur, Leone Leoni. En 1603, cette Léda retourne vers le centre de l'Europe et vient enrichir les collections de Rodolphe II. Elle se retrouve à Prague, ville des arts s'il en est. (à suivre...)