Deux minutes après, je n'étais pas certaine que ce fût vraiment arrivé. Je voyais par terre les éclats du sous-verre brisé, je sentais la douleur lancinante de mon crâne à l'endroit où il avait sèchement heurté le mur, mais je voyais et je sentais également Jeffrey, ses traits déformés par la stupeur, sa main tremblante effleurant mon visage. — Mon Dieu, Hannah, regarde-nous ! Tu vois ce que tu as fait ? C'est ce que tu voulais ? Je repoussai sa main en m'efforçant de reprendre mes esprits. Qu'avais-je fait ? Je m'étais avancée dans l'appartement plongé dans l'obscurité. Mon appartement. J'avais entendu la voix de Jeffrey. Où es-tu ? J'avais tendu la main pour éclairer, mais quelque chose m'en avait empêchée. Des mains. Vigoureuses. Furieuses. M'avaient-elles agrippée ? Poussée ? J'étais tombée, le dos contre le mur. C'était tout ce que je savais. J'étais tombée en arrière contre le mur, et la pièce s'était éclairée et Jeffrey était là. Jeffrey. Dans mon appartement. Une semaine après que je lui eus dit que j'avais besoin de rester seule pendant quelque temps — Pardonne-moi, dit Jeffrey. (Je voyais sa poitrine se soulever sous sa chemise tandis qu'il luttait pour reprendre son calme.) Je t'ai fait peur, n'est-ce pas ? Je voulais qu'on discute. Je suis entré. Mais tu m'affoles, Hannah. Je ne voulais pas... (Il s'interrompit, se passa une main sur le visage.) Comment te sens-tu ? Je portai la main à ma tête, avec une grimace. — Ça ne va pas. Là. Assieds-toi. Il me conduisit jusqu'au canapé, s'assit à côté de moi. Des doigts tâtèrent mon cuir chevelu, adroitement, gentiment. C'était l'une des premières choses que j'avais aimées chez Jeffrey. D'abord le sourire facile, éclatant, mais tout de suite après ces mains habiles, rassurantes. Non, ça ne pouvait pas être ses mains qui avaient fait cela. Jeffrey cessa de tâter pour lisser mes cheveux en arrière. — Pas même une bosse. Mais tu vois ce qui peut arriver. Je suis désolé d'être entré ainsi et de t'avoir fait peur. Je ne suis pas moi-même ce soir. Toi non plus, tu n'es pas toi-même. Ça ne te ressemble pas, de traîner de cette façon. Je ne traînais pas. J'étais avec Ellen et Paul au... — Inutile de mêler Ellen à tout ça, Hannah. Nous savons qu'Ellen n'était pas là, n'est-ce pas ? Il y avait Paul et toi. Mais Ellen fait partie du problème, aussi, n'est-ce pas ? Elle n'aime pas, ta sœur, que nous soyons tout le temps ensemble, n'est-ce pas ? Je ne sais pas pourquoi tu l'écoutes. C'est bien là qu'est le problème. Tu n'as pas besoin d'être seule. Nous avons besoin d'être seuls. Rien que nous deux, sans ce parasitage. Je sais ce que nous allons faire, nous allons aller à la cabane. — Jeffrey... — Chut. (Jeffrey s'est laissé retomber en arrière, en m'attirant à lui jusqu'à ce que ma joue repose sur sa poitrine plate et dure.) Tu sais bien que j'ai raison, Hannah. On ne résout pas les problèmes par la fuite. (à suivre...)