Phénomène n Ces commerçants d'un autre genre viennent des villages périphériques de Betrouna, Oued Aïssi, Ouaguenoun, Beni Z'menzer… En pleine saison de Lakhrif, synonyme de «régal» garanti pour tous dans une région réputée pour être le fief des figueraies, culture intimement liée à celle de l'olivier dont elle constituait le complément, la figue fraîche se vend en Kabylie à des prix variant entre 80 et 150 DA le kilogramme. Ce «négoce», relevant de l'imaginaire dans un passé pas lointain, semble s'ancrer dans les mœurs jour après jour, au point de devenir une pratique «normale», un mot en vogue employé de nos jours avec désinvolture pour expliquer et justifier tout, même si cela s'inscrit en porte-à-faux avec des pratiques ancestrales qu'on croyait immuables. Ce constat se vérifie aisément à travers une virée dans les rues de la ville de Tizi Ouzou ou des jeunes et moins jeunes proposent du bakhssis de piètre qualité et ratatiné par la sécheresse, dans de vulgaires bidons de peinture et autres récipients de fortune, en guise de corbeilles en osier tressé qu'on employait dans le temps pour honorer la cueillette de ce fruit. Installés sur les trottoirs où ils vantent la qualité de leur marchandise, invitant les passants à en déguster avant l'achat, ces commerçants d'un autre genre viennent des villages périphériques de Betrouna, Oued Aïssi, Ouaguenoun, Beni Z'menzer, Ihassnaouène, Redjaouana, troquer la figue fraîche contre une poignée de dinars, histoire pour certains de se faire un peu d'argent de poche ou tout simplement de se procurer une ressource d'appoint pour faire face aux dépenses incompressibles de la rentrée scolaire et du ramadan.. Ainsi, naguère considérée comme «le fruit du pauvre», voire, dit-on, une offrande destinée à tout le monde par la providence, la figue fraîche est à présent un fruit «exotique», au même titre que la banane, le kiwi, la noix de coco et autres fruits tropicaux. Du temps où la terre était travaillée, ce fruit du terroir était garanti pour tout le monde, y compris ceux qui ne possédaient pas de figuiers. En ces temps, il était admis que les fruits sont à tout le monde et qu'il n'y avait rien de plus humiliant que de jeter un sort sur quelqu'un, en lui disant : «il viendra un temps où tu manqueras non seulement d'amis, mais aussi de figues.» Ce présage des sages semble se confirmer avec le net recul de la production de figues, cantonnée aujourd'hui dans les derniers îlots que sont Tala Amara, Illoula Oumalou (qui vient de célébrer sa fête annuelle des figues) et Mechtras.