Changement n En l'espace d'un peu plus d'une année, deux grandes démocraties occidentales – sinon les plus grandes – ont désigné des hommes issus de l'immigration pour présider à leur destinée. Si l'élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République française en mai 2007 n'a rien de surprenant tant le mot «immigré» dans ce pays signifie plus «Maghrébin» qu'autre chose, en revanche, celle, plus récente, de Barack Obama à la tête des Etats-Unis d'Amérique, première puissance militaire, économique et scientifique mondiale, a de quoi ne pas laisser indifférent. Le longiligne sénateur de l'Illinois n'est pas «seulement» Noir. Autrement dit, il n'avait pas que le handicap de la couleur de la peau à surmonter dans son audacieuse entreprise de conquérir la Maison-Blanche, citadelle jusque-là inaccessible à qui ne montre pas patte blanche, au propre plus qu'au figuré. Barack Obama est aussi – et surtout ! – fils d'un immigré musulman. Il porte même un deuxième prénom difficile à décliner dans l'Amérique de l'après 11-septembre, tant sa seule évocation fait penser à un certain «tyran qui menaçait le monde avec ses armes de destruction massive» et que George Bush a neutralisé à jamais à l'aube d'un jour de l'Aïd : Husseïn. Les stratèges de campagne ont peut-être veillé, pour les besoins de la cause, à ce que ce prénom trop compromettant aux yeux d'une population soucieuse de sa sécurité, soit mis en veilleuse, mais le fait est là : ce qui, il y a seulement quelques années, relevait du fantasme et de la chimère, fait aujourd'hui partie du réel. Un Noir d'origine musulmane présidera aux destinées du pays de la Bannière étoilée, avec ses Blancs et ses Hispaniques, ses protestants et ses mormons, ses cow-boys et ses magnats de la finance, pendant quatre ans au moins. Plus surréaliste encore, pendant que ses deux filles s'amuseront dans la cour de la Maison-Blanche avec leur chien «issu d'un croisement» comme leur illustre papa ; le jeune Président, en bon petit-fils, ne devra pas s'empêcher de composer, entre un discours au Congrès et un tête-à-tête avec Angela Merkel, l'indicatif téléphonique du lointain Kenya pour s'enquérir des nouvelles de sa grand-mère paternelle qui vit encore dans un village en pleine savane, côtoyant lions, zèbres et antilopes. C'est dire si Barack Obama est un fils d'émigré «à part entière». Il n'empêche qu'il occupera la plus haute fonction du pays d'accueil de son père, fonction que la magie du triptyque «Blanc-protestant-Irlandais» a placée hors de portée de bien des communautés. Comment un «Noir-juste-un-peu-irlandais» par les origines lointaines de sa mère, a-t-il pu battre, par un score qui frise l'humiliation, un «authentique Américain», moins d'un siècle et demi après l'abolition de l'esclavage et un demi-siècle seulement après la suppression des lois sur la ségrégation raciale ? Pendant que les chercheurs, sociologues et politologues des plus prestigieuses universités du monde s'échineront à élucider le mystère, bien des gens de par le monde se mettront à rêver. A commencer par ces communautés privées, comme le furent les Noirs américains deux siècles durant, du droit de «placer» un des leurs à la plus haute fonction de leurs Etats respectifs. Et Dieu sait qu'elles sont nombreuses…