Séance n «Imaret Yacoubian» (l'Immeuble Yacoubian), un film adapté du roman du même titre de l'écrivain égyptien Alaâ El-Aswani par Marwan Hamed, a été projeté, hier , en avant-première nationale, à Ibn Zeydoun (Riad El-Feth). L'histoire se déroule dans le vieux Caire, et les personnages, racontés, évoluent autour d'un immeuble nommé «Imaret Yacoubian», un immeuble bâti, au cours du XXe siècle, dans les années 1930, et qui, au départ, a été occupé par la bourgeoisie cairote, puis, avec la révolution, les lieux ont été abandonnés et laissés, tour à tour, aux nouveaux riches. Le film, joué par des stars du cinéma comme Adel Imam, Yousra, Nour Chérif et bien d'autres encore, raconte en somme l'immeuble Yacobian (le nom de celui qui l'a construit), mais aussi la terrasse de l'immeuble : des familles, pauvres et démunies, occupent les chambres qui, autrefois, étaient réservées aux domestiques, ceux qui, au temps de la monarchie, servaient l'ancienne bourgeoisie cairote. Deux mondes se superposant, constituant ainsi un microcosme de la société égyptienne ; chaque personnage est représentatif; chacun renvoie à une couche sociale, et chacune de ces couches est incarnée tant au plan de la psychologie, de la personnalité, des croyances culturelles, sociales ou idéologiques que celui du matériel : en effet, dans l'immeuble Yacobian, on trouve aux côtés des familles pauvres, des gens foncièrement aisés mais qui, avec le temps, ont perdu de leur lustre d'antan, de leur nom et leurs privilèges, c'est-à-dire des gens issus de l'ancienne bourgeoisie, celle entretenue par la monarchie, ainsi que d'autres nouvellement riches, des arrivistes. Chacun des personnages vit dans son monde et s'en va vaquer à ses petites affaires : il y en a un qui, issu d'une famille noble, a dilapidé sa fortune et continue de le faire, pour les femmes, il y en a un autre, lui aussi, issu de l'ancienne bourgeoisie, et qui, délaissé par ses parents et abusé sexuellement par le domestique, vit mal son homosexualité, il y a Christie qui, autrefois belle, élégante et à la voix suave, se retrouve, tout en préservant son aura d'antan, à chanter dans des pianos-bars d'hôtels de luxe, il y en a un autre qui, dans le temps, était un misérable cordonnier, mais avec les bouleversements sociopolitiques qu'a connus l'Egypte au cours de la fin du XXe siècle, s'est retrouvé, du jour au lendemain, devenir riche. Il y en a un autre encore qui, démuni, n'ayant aucune issue sociale, s'avère sujet facile et perméable à l'endoctrinement islamiste : il devient terroriste. Un autre enfin, rongé par le malaise social, accepte de monnayer sa dignité et son honneur. Autant de personnages figurent dans le film et sont étonnamment représentatifs. l Illustrant sur fond musical – la musique accompagne d'un bout à l'autre les péripéties du film et y devient, du coup, l'élément clé, voire le protagoniste, puisqu'elle rend compte des sentiments, de la psychologie et des états d'âme de chacun des personnages présentés dans le film – les rêves et les espoirs des uns, la détresse et les fantasmes comme les complexes et les frustrations des autres, le film aborde l'homosexualité comme un fait de société, c'est aussi un clin d'œil à la prostitution, il traite également de l'islamisme comme du terrorisme, de la corruption et de la course au pouvoir, du vertige et marasme social … Autant de faits que de sentiments abordés dans le film avec autant de réalisme que d'esthétisme, d'humour, d'ironie que de poésie. L'Immeuble Yacobian, autrefois prestigieux et à l'allure fière, est devenu, au fil des ans et des générations, un lieu où se concentrent les illusions perdues, les instants nostalgiques, les convoitises, l'âpreté et le mercantilisme : tout se monnaye pour quelque échelon social. Chacun des personnages est une déchéance en soi, aussi bien morale que matérielle, intellectuelle qu'humaine. C'est la déchéance de la société égyptienne comme celle du monde arabe. Le film est un prétexte pour faire allusion à la société arabe, une société en décrépitude morale, politique et intellectuelle, sociale et humaine. Chaque pays arabe se reconnaît dans ce film : vicissitude et désarroi social. Une société bloquée : la jeunesse, celle du petit peuple, n'a aucune issue pour ses aspirations et ambitions. Le film aborde alors l'inégalité des opportunités sociales.