Je ne me lasserai jamais de raconter comment Grenouille et Eléphant contèrent fleurette un temps aux jeunes filles de la même maison. Grenouille et Eléphant avaient beaucoup de succès auprès de ces demoiselles. Il faut dire qu'ils étaient aux petits soins pour elles. Jamais ils ne seraient arrivés les mains vides. Tantôt des fleurs, tantôt des fruits, toujours ils apportaient un petit cadeau gentil. D'ailleurs tous ceux qui les connaissaient étaient d'accord sur ce point : malgré des différences qui tombaient sous le sens, Eléphant et Grenouille se ressemblaient beau-coup. D'abord ils étaient beaux tous les deux, chacun à sa manière bien sûr. Et puis tous deux aimaient bien l'eau, et les longues balades en forêt -surtout le long du sentier qui menait chez les demoiselles. Enfin, s'ils n'étaient pas de la même taille, ils avaient tous deux le même âge- le bel âge évidemment. Mais à quoi bon énumérer tout ce qui les rapprochait ? Ils se ressemblaient, c'est un fait, mais là n'est pas notre histoire. L'histoire a commencé le jour où M. Grenouille est allé voir ces demoiselles tout seul. Il s'est assis avec elles devant la maison, à l'ombre d'un fromager, à siroter du lait de coco bien frais. Ces demoiselles entouraient M. Grenouille, et riaient fort de ses traits d'esprit. Il était plus drôle et charmant que jamais. Il se sentait le roi de la forêt Hélas ! voilà que la bien-aimée de l'éléphant s'est mise à parler de son galant. Il était si beau, si charmant, si délicat, si élégant ! Alors M. Grenouille a vu rouge. Il s'est gonflé, gonflé, du mieux qu'il a pu. Et il a dit, l'air de rien : — Ah, Éléphant ? Oui, c'est un brave garçon. Vous savez toutes déjà, j'imagine, qu'il me sert de baudet. Une excellente monture, ma foi ! Les filles n'en ont pas cru leurs oreilles : — Qui ? M. Eléphant ? Votre baudet ? Oh, c'est vrai, dites ? C'est vrai ? Elles en étaient si émoustillées qu'elles faisaient ronde autour de lui. Grenouille se sentait grand et fort, un vrai géant ; bien plus gros que l'éléphant. Quand il est reparti, ce soir-là, il bondissait comme une antilope, tant il débordait de fierté. La forêt lui appartenait. Ce soir-là, justement, l'éléphant à son tour est venu rendre visite, tout seul, aux demoiselles. A peine est-il sorti de la brousse qu'elles ont lancé à sa bien-aimée : — Oh regarde, le voilà, c'est lui ! Le baudet de M. Grenouille ! Elle a couru à sa rencontre. Il lui a donné des cerises sauvages, un bouquet de fleurs, un petit baiser, sans parler d'un bon gros câlin de sa trompe enroulée. Mais c'est à peine si elle l'a remercié. Elle avait encore sur le cœur ce qu'avait dit M. Grenouille. Alors elle a laissé tomber : — D'après ce que nous a raconté ton ami, tu lui sers de baudet, à ce qu'il semblerait. Eléphant en a rugi de rire : — Eh, ça vaut mieux que l'inverse, non ? Les filles ont bien ri elles aussi, mais elles ont répété mot pour mot ce qu'avait dit M. Grenouille. Visiblement, elles y croyaient. — Hé, minute, là, mignonnes ! a protesté l'éléphant. Vous voulez dire que... Moi ? Moi? Le baudet de Grenouille ? Il plaisantait, bien sûr! — Mais pas du tout, a dit sa fiancée. Pas du tout ! Il nous a juré qu'il était tout ce qu'il y a de plus sérieux.