Dépendance Rien ne laissait présager son suicide. Peut-être était-il devenu accro au fait de tuer ? Petits yeux gris derrière des lunettes sages, lèvres minces, regard impénétrable : la personnalité du Dr Harold Shipman, retrouvé pendu mardi dernier dans sa cellule et soupçonné d'être l'un des pires tueurs en série de l'histoire, demeure aussi mystérieuse que ses motivations. Le médecin généraliste de 57 ans (il aurait eu 58 ans, hier, mercredi), surnommé «docteur la mort» après sa condamnation à perpétuité en janvier 2000 pour le meurtre de 15 patients, a, en fait, tué au moins 215 personnes, et peut-être jusqu'à 260, de 1975 à 1998, selon une enquête publique. Une des rares certitudes : la confiance que lui portaient ses patientes. Elles l'appelaient «Fred» ? il se prénommait Harold Frederick ? et se pressaient dans son cabinet. Pendant les quatre mois qu'a duré son procès, aucun mobile particulier n'a jamais pu être établi et le petit médecin exerçant à Hyde, non loin de Manchester (nord-ouest de l?Angleterre), a toujours nié les faits. Il a bien falsifié, grossièrement, le testament d'une malade, mais les enquêteurs ont rapidement écarté le mobile de l'argent. Généralement imperturbable dans le box des accusés, il s'est juste effondré une ou deux fois au cours des témoignages accablants l'accusant d'avoir injecté des doses mortelles de drogues à ses patientes. Mais son avocat a toujours invoqué la fatigue. Lui a toujours nié et n'a formulé aucun regret devant l'horreur des faits. La silhouette enrobée, le visage caché par une barbe poivre et sel et des lunettes cerclées d'argent, le Dr Shipman a emporté son secret avec lui. En mal d'informations, la presse a parlé de «Démon», du «nouveau Dr Hyde». Le Times n'a pas hésité à le qualifier de «Mengele britannique», le comparant ainsi au bourreau d'Auschwitz. Marié et père de quatre enfants, «Fred» Shipman aura été un médecin apprécié. Plus de 3 000 patients étaient encore inscrits à son fichier l'année de son arrestation, en 1998. Au début de l'enquête publique, son épouse Primrose avait dû déposer à la barre. Celle qui a toujours idolâtré son mari et le suivait parfois dans ses visites a redit qu'elle le croyait, sincèrement, innocent. En mal de mobile, c'est donc dans les profondeurs de son histoire personnelle que les psychiatres ont recherché une cause possible aux meurtres en série. Né le 14 janvier 1946 dans un milieu ouvrier, Harold Shipman assiste impuissant, à 17 ans, à la lente agonie de sa mère, Véra, emportée par un cancer du poumon. Quand il n'y avait plus d'espoir, il a vu les médecins soulager les souffrances de la malade en lui injectant des doses quotidiennes de morphine. La plupart des victimes du Dr Shipman étaient toutes des femmes relativement âgées, et les autopsies pratiquées ont, chaque fois, révélé des doses massives de diamorphine (héroïne). Une drogue dont le médecin possédait de grosses réserves, selon la police. Pendant ses études de médecine, il était fasciné par les drogues, ont relaté certains anciens camarades. En 1976, le Dr Shipman avait été condamné à une amende pour avoir détourné à son propre usage des stupéfiants. «J'étais déprimé», s'était-il défendu. Jamais par la suite, et jusqu'à son procès, le médecin n'a eu affaire à la justice. Les enquêteurs ont souligné l'absence totale de violence sexuelle à l'encontre des victimes. Aux premières heures de l'enquête, Harold Shipman aurait quand même avoué «sa volonté de contrôle sur la vie et la mort». Peut-être s'est-il laissé griser par ce pouvoir d'essence divine, estiment certains experts. «Je suis un être supérieur», aurait-il confié à un policier avant de s'enfermer dans un mutisme qui ne l?a plus quitté.