Gare aux oreilles et battez tambours ! Place pour une histoire à tout ébranler, tout assourdir, tout faire trembler : l'histoire d'une vieille querelle qui n'en finira pas, la brouille entre l'éléphant et le buffle ; et comment le brave petit singe - tout dans la queue, rien dans la tête- n'a pas pu arranger les choses. Depuis toujours, Buffle et Eléphant se regardent de travers. Chacun a ses raisons, que chacun estime bonnes. En tout cas leur bisbille remonte à des lunes et des lunes, et jamais au grand jamais ils n'ont pu la régler une bonne fois. Eléphant est costaud, mais Buffle n'a rien de chétif. D'ailleurs dans la savane, on ne fait pas de détail ; ces deux-là, pour tout le monde, ils portent le même nom : ce sont les deux gros, simplement. Déjà, ils ne peuvent pas faire trois pas sans qu'aussitôt la terre tremble — pom, pom, podom. Mais quand ils donnent de la voix, c'est pire. Toute la savane retentit. Or ils ne s'en privent pas de donner de la voix, les gros ! Toujours à barrir ou mugir, clabauder, lancer des fanfaronnades. C'est bien de là que viennent tous leurs ennuis. Eléphant ne se prend pas pour rien ; c'est lui le plus grand, c'est lui le plus fort, voilà ce qu'il clame à tout-venant. Il ne manque jamais d'ajouter que ce moucheron de Buffle, le pauvre, ne lui arrive pas à la cheville. Et quand Buffle entend rapporter qu'Eléphant le traite de moucheron, les oreilles lui chauffent, bien sûr. Mais Buffle sait se battre et n'a peur de personne. Alors, sans se démonter, il charge ses messagers de deux ou trois compliments à retourner à l'éléphant.. Sur leur chemin, quand ils se baladent, ni l'un ni l'autre ne craignent guère les encombrements comme on les entend venir de loin, toute la savane, poliment, s'écarte pour leur laisser le passage. Mais que leurs routes se croisent et c'est la bagarre assurée. Ni Eléphant, ni Buffle ne bougera d'un pouce pour céder la voie libre à l'autre. L'ennui, c'est que leurs routes se croisent souvent. Un jour, il n'y a pas si longtemps, les voilà qui débouchent en même temps sur la route du village. — Allez ouste, dit l'éléphant. Range cette croupe et laisse-moi passer, ou je te mets les cornes en spirale ! — Eh, ôte-toi de mon chemin, pif de chenille ! dit le buffle. Ou je te fais des nœuds à la trompe ! Après pareilles amabilités, la collision est inévitable. Eléphant ouvre le ban. Et vlan sur l'arrière-train du confrère ! Buffle répond d'une ruade. Le tango commence. De coup de corne en coup de sabot, de coup de trompe en coup de reins, les voilà tous deux dans un champ de sorgho, qui roulent, qui roulent et qui écrasent tout. Il n'en restera plus rien, de ce sorgho, du train où ils y vont ! Les villageois lèvent les bras au ciel. — Mais arrêtez, quoi ! Arrêtez ! Nos récoltes ! Vous les massacrez ! Singe, va les trouver, et dis-leur d'arrêter. Le singe court se percher dans un arbre, juste au-dessus de la mêlée, et s'y suspend par la queue. — Dites, vous deux ! C'est bientôt fini ? Vous avez vu ce que vous faites ? C'est du joli ! Mais le singe a beau s'égosiller, il n'a pas une bien grosse voix. Buffle et Eléphant ne l'entendent pas. D'ailleurs ils ont mieux à faire. Ils se battent. (à suivre...)