Qu'est-ce que tu en penses ? demanda Rachel d'une voix enjouée. Mais Mme Risk comprit, au froncement de sourcils qui accompagnait ces paroles, que Rachel n'était pas d'humeur à supporter la contradiction. Prenant soin de dissimuler son amusement, elle balaya du regard la rue bordée de boutiques, les yeux brillants. Elles sentaient sur leur nez et leurs mains encore froids la caresse du soleil de mai qui, comme chaque matin, recouvrait d'un vernis doré le toit des maisons. Parcourir la promenade de planches longeant le front de mer du village de Wyndham-by-the-Sea constituait l'une de ses occupations matinales favorites. Le bruit de leurs pas scandait joyeusement leur marche, les bottes de Rachel émettant un batte-ment plus sonore et plus sec que les pantoufles de Mme Risk. Toutes deux étaient plutôt grandes et leurs, démarches s'accordaient à merveille. Rachel n'était pas seulement bien plus jeune, elle était aussi beaucoup plus ronde que l'autre femme. Elle était comme à son habitude vêtue d'un jean et d'une chemise en coton. Sa masse de boucles brunes retombait en queue de cheval sur son dos. Quant aux cheveux raides de Mme Risk, ils se soulevaient et claquaient comme un drapeau noir effiloché dans le vent venant de la baie. Elle se décida enfin à répondre : — Si c'est l'or qui t'intéresse, je te conseille d'acheter le métal lui-même. Tu posséderas quelque chose que tu peux toucher, et même porter, dont la valeur ne pourra qu'augmenter avec le temps. Mais acheter à terme ? C'est de la pure spéculation, ma grande. Des gains éventuellement élevés, mais des risques encore plus importants. A la Bourse, la perte peut dépasser l'investissement. Rachel poussa un grognement d'impatience. — Je ne peux pas me permettre d'investir dans des babioles. Mme Risk tenta de l'interrompre, mais Rachel l'ignora. — Dis, tu te rappelles qu'à l'hôpital St Boniface, ils m'ont commandé les fleurs pour leur gala de charité de la semaine prochaine ? Eh bien, quand je toucherai ce chèque, non seulement je pourrai payer mon loyer et mes factures à temps, pour la première fois depuis que j'ai ouvert la boutique, mais en plus il m'en restera une partie. De quoi saisir l'occasion de faire un petit bénéfice. Mel Arvin, l'agent de change, dit que... — Pouah ! Si cet homme me disait que les poissons vivent dans l'eau, je ne le croirais pas ! — Oui, fit Rachel d'une voix triomphante. Mais à Harry Fitch, tu lui ferais confiance ? — Tout à fait. Mais qu'est-ce que Harry connaît au marché à terme de l'or, ou à la Bourse en général ? Mme Risk tourna son visage vers le soleil et huma l'air. La mode du café était arrivée à Wyndham, et l'alléchant parfum des grains torréfiés flottait dans l'air salé. — Il passe son temps à vendre de l'or. — Il vend des pièces d'or anciennes. Ça n'a rien à voir. Dis, ça ne te dirait pas de remplacer l'infusion par un bon café, ce matin ? (à suivre...)