Résumé de la 17e partie n Tuppence surprend des bribes de conversation entre Karl von Deinim et une inconnue. Cette discussion éveille en elle des soupçons... D'une voix aux inflexions gutturales, Karl von Deinim reprit : — Dans ce pays je suis venu pour fuir la persécution des nazis. J'avais très peu d'argent... et pas d'amis. Alors je fais maintenant le travail utile que je peux. Le jeune homme gardait les yeux rivés droit devant lui. Tuppence perçut le flot souterrain d'émotions qui le bouleversaient. — Oh ! oui, je vois, murmura-t-elle à tout hasard. Je vois. C'est... tout à votre honneur. — Mes deux frères sont en camp de concentration, jeta Karl von Deinim. Mon père y est mort. Et ma mère est morte de chagrin et de peur. «Il a une façon d'annoncer ça..., pensa Tuppence. Comme s'il l'avait appris par cœur.» Elle risqua à nouveau un coup d'œil à la dérobée : les traits impassibles, il conservait un regard figé. Ils cheminèrent en silence. Deux hommes les croisèrent. L'un d'eux toisa Karl, et Tuppence l'entendit dire à son compagnon : — Je parie que ce type est un Allemand. Tuppence vit le rouge monter aux joues de Karl von Deinim. Incapable de dominer plus longtemps les sentiments qui l'agitaient, il bégaya : — V-vous avez entendu ? V-vous avez entendu ? C'est ce qu'ils disent tous. Je... — Ne soyez pas idiot, mon garçon, coupa Tuppence, oubliant son personnage et redevenant elle-même. On ne peut pas tout avoir. Il la fixa sans comprendre. — Que voulez-vous dire ? — Vous êtes réfugié. Il vous faut accepter le pire avec le meilleur. Vous êtes vivant, c'est l'essentiel. Vivant. Et libre. Pour le reste... admettez que c'est inévitable. Ce pays est en guerre. Et vous êtes Allemand... (Elle lui sourit.) N'espérez pas que l'homme de la rue puisse faire la distinction entre les mauvais Allemands et les bons Allemands, si je peux m'exprimer ainsi. Son regard ne la quittait pas. Dans ses yeux, tellement bleus, on lisait son effort pour redevenir maître de lui. Puis, tout d'un coup, il sourit lui aussi. — Les gens disaient qu'un bon Indien est un Indien mort, n'est-ce pas ? fit-il dans un rire. Pour être un bon Allemand, il faut que je sois à l'heure à mon travail. Permettez-moi de vous quitter. Bonne journée. Sur quoi il s'inclina, toujours aussi raide. Tuppence, pensive, suivit des yeux la silhouette qui s'éloignait. «Mrs Blenkensop, se dit-elle, vous venez de vous laisser aller à commettre une boulette. Dans l'avenir, apportez un peu plus d'attention à ce que vous faites. Et, maintenant, en route pour le petit déjeuner à Sans Souci.» La porte du hall de l'hôtel était ouverte. De l'intérieur, on entendait la voix de Mrs Perenna apostrophant avec vigueur un interlocuteur invisible : — Et tu pourras lui dire ce que je pense de son dernier carton de margarine !... Le jambon, tu le prendras chez Quiler... La dernière fois, c'était deux pence moins cher... Et fais bien attention aux choux (à suivre...)