Résumé de la 33e partie n Alors que Mrs O'Rourke faisait part de ses doutes, Mrs Sprot entre dans le salon, suivie de Tommy. Chacun rit pour manifester son accord. Quelques minutes plus tard, les autres pensionnaires arrivèrent et le gong sonna pour annoncer que le dîner était servi. Pendant le repas, la conversation tourna sur le passionnant sujet de l'espionnage et des espions. On ressortit naturellement les rumeurs les plus éculées : celle de la religieuse aux bras trop musclés, celle du respectable pasteur descendu du ciel au bout d'un parachute, et trahi par un langage bien peu ecclésiastique au moment de son atterrissage brutal, celle de la cuisinière autrichienne qui dissimulait un émetteur radio dans la cheminée de sa chambre – sans compter toutes sortes d'incidents dont avaient eu vent des tantes éloignées ou qu'avaient failli vivre des cousins au quatrième degré. De là on passa tout naturellement aux activités de la Cinquième Colonne. On dénonça vigoureusement les fascistes britanniques, les communistes, le Parti de la paix et les objecteurs de conscience. Bref, c'était une conversation des plus ordinaires, et il s'en tenait d'analogues tous les jours. Tuppence n'en observa pas moins avec attention l'expression des visages et le comportement de chacun, tâchant de saisir une mimique ou un mot révélateurs. Mais c'était peine perdue. Seule Sheila Perenna s'abstint de prendre part à la discussion, mais on pouvait mettre son silence sur le compte de son mutisme coutumier. Son beau visage rebelle, couronné de cheveux noirs, arborait un air à la fois revêche et lointain. Karl von Deinim était absent, ce soir-là, aussi les langues allaient-elles bon train. Vers la fin du dîner, Sheila Perenna ouvrit enfin la bouche. Mrs Sprot venait à l'instant de remarquer de sa petite voix flûtée : — Je n'arrive pas à comprendre comment les Allemands ont pu commettre l'erreur monumentale, lors de la der-nière guerre, de fusiller miss Cavell. Cela leur a mis le monde entier à dos. Alors Sheila, rejetant la tête en arrière, lança sur le ton du défi adolescent : — Pourquoi ne l'auraient-ils pas fusillée ? C'était une espionne, non ? — Ah non ! pas une espionne ! — Elle aidait des Anglais à s'évader d'un pays ennemi. C'est pareil. Pourquoi ne l'auraient-ils pas fusillée ? Mais enfin, fusiller une femme – une infirmière, en plus... Sheila se dressa : — J'estime que les Allemands ont eu bien raison. Puis, sortant par la porte-fenêtre, elle s'enfonça dans le jardin. Le dessert, qui se composait de bananes pas mûres et d'oranges qui l'étaient trop, avait suffisamment séjourné sur la table. Chacun se leva, et on passa dans le salon pour prendre le café. Seul Tommy s'éclipsa discrètement et gagna, lui aussi, le jardin. Il y trouva Sheila Perenna qui, penchée sur la balustrade de la terrasse, regardait la mer sans la voir. Il s'accouda à côté d'elle. (à suivre...)