Patrimoine n La poésie chantée est un moyen d'expression que la femme utilisait pour s'exprimer dans une société où la parole était le privilège de l'homme. C'était ainsi le cas dans la société kabyle ancienne. L'homme y avait plusieurs espaces publics pour s'exprimer, tels tajmaït (la place du village) et le souk (les marchés hebdomadaires). La femme qui ne quittait la maison que pour aller chercher l'eau à la fontaine ou travailler dans les champs n'avait pas la possibilité de faire connaître son opinion et ses sentiments. Pour dire ses joies, ses douleurs et ses espoirs, elle a dû donc recourir à d'autres moyens tels que les symboles qu'elle dessinait sur les poteries, les tapis ou les murs de la maison ou en recourant à la poésie chantée. Selon Ramdhane Lasheb, écrivain et enseignant au département de langue et de culture amazighes de l'université de Tizi Ouzou, la poésie féminine kabyle peut être classée en six catégories qui sont la poésie «maternelle» qui compte Azouzen ( les berceuses) et Acerqes, chants pour réveiller l'enfant. Il y a aussi les chants de travail que la femme chante lorsqu'elle effectue un travail (cueillette des olives, tissage, travaux des champs, poterie…) les poèmes sont un hommage au travail et à ses valeurs. On y trouve également des poèmes pour louer la terre et le ciel afin d'avoir une bonne récolte. Dans la troisième catégorie M. Lashab a classé les chants de fête. Ceux-ci étaient chantés lors des mariages, des naissances et des circoncisions pour souhaiter bonne chance et exprimer sa joie. Une autre catégorie comporte les poèmes dits Amaâbar où deux poétesses souvent la belle-fille et sa belle-mère parlent en vers dans une sorte de concours. La catégorie des poèmes religieux comporte des chants chantés par les femmes lors des décès, une pratique qui existe encore dans certains villages de Kabylie. Enfin, il y a les poèmes de guerre où les femmes glorifient les actes des moudjahidine et dénoncent les harkis ainsi que les exactions de l'armée française. Ces poèmes sont de véritables témoignages de ce qu'a vécu la Kabylie pendant la période coloniale. Car ses poèmes relatent des faits de moudjahidine qui sont cités ainsi que les endroits où se déroulent les faits. M. Lashab dira que ces poèmes féminins avaient un usage dans le temps. Aujourd'hui, avec la modernisation et l'évolution de la société, ce rôle de la poésie féminine disparaît. En effet les poèmes de guerre, destinés à donner du courage aux moudjahiddine ne sont plus chantés que dans de rares occasions car le contexte dans lequel ils étaient chantés n'existe plus. Idem pour les autres chants. Même les berceuses sont délaissées. Et rares sont aujourd'hui les femmes qui chantent dans les champs. Cette œuvre collective qui appartient à la gent féminine kabyle est en voie de disparition. Il est donc nécessaire d'œuvrer à la sauvegarde de ce qu'il en reste. M. Lashab insistera sur ce fait car il y va de la protection d'une facette de notre riche patrimoine immatériel.