Il avait pour thème de conférence «Le nouveau gouvernement du monde» objet de son avant dernier essai, il a décidé de faire le lien entre les phénomènes du nouveau gouvernement du monde et ceux des révoltes arabes. Une décision qui ne manquera pas de le faire déborder sur le thème de son dernier essai «Pour une lecture profane des conflits». Le public qui a fait le déplacement vendredi à l'Hôtel Hilton pour assister à la conférence-débat du Docteur Georges Corm a comme d'habitude été fasciné par la simplicité du propos du conférencier en sus de ses grandes compétences mondialement reconnues. Economiste, historien, professeur, consultant de divers organismes internationaux ou de sociétés privées, il a été, de 1998 à 2000, ministre des Finances du Liban. Chose qui ne l'empêche pas de rendre hommage à M'hamed Yazid, Pierre Chaulet et Abdelmalek Temmam qui ont eu «un impact sur sa formation personnelle», affirmera le conférencier avant d'entamer son propos. L'homme qui a mesuré le «désastre» qui a touché les économies des pays arabes a été témoin de l'installation du «désordre» ayant entraîné la chute en enfer. L'Irak, la Libye et surtout la Syrie cristallisent le chaos qui a touché les pays arabes. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Corm prendra tout le monde à rebrousse-poil : les exigences de la mondialisation. La réduction des rôles des Etats dans l'économie, la «nécessaire» flexibilité des salaires, l'adaptation «à la baisse des régimes de retraite ou l'impact évidemment nocif» de la fiscalité sur «l'amélioration du climat des affaires», objectif essentiel du «bonheur de l'humanité». Corm ne manquera pas de dénoncer le fameux «dowing business» de la Banque Mondiale qui distribuait les bons points à des pays qui étaient à deux doigts du gouffre. La Tunisie, l'Egypte, la Syrie n'ont pas eu le temps de se retourner avant d'être happés par un mécontentement généralisé, qui lui n'a pas eu besoin des bons points de la Banque Mondiale ni du FMI pour mesurer l'étendue du désastre. Dans ce système, Corm n'a pu constater, comme tous les peuples arabes d'ailleurs, que des sociétés déstructurées, des familles éclatées par des mouvements migratoires, des crispations identitaires mortifères, des Etats progressivement dépossédés de leurs compétences. Cette dépossessions des Etats trouvait déjà ses limites dans les enjeux géostratégiques expliquera Georges Corm. Le monde bipolaire de la guerre froide encadrait déjà les Etats. Pour que les «trous de mémoire» ne s'installent pas éternellement, le conférencier rappellera le mouvement des Non-alignés et le rôle majeur de l'Algérie et de l'Egypte nassérienne dans ce front de résistance des pays émergents. Ce mouvement, rappellera-t-il, portait déjà un slogan très parlant qui contestait les faits accomplis. Les Non-alignés avaient compris qu'ils ne pouvaient trouver de place sous le soleil sans se frayer leurs propres chemins et sans plus de justice internationale. D'où l'importance du «pour un nouvel ordre mondial». Comment se sont fracassés tous ces rêves ? On ne peut échapper au bilan si l'on veut aller de l'avant. La fin du nationalisme arabe, échappant au référent religieux aussi bien que la disparition des nationalismes provinciaux, a cédé la place à l'homoisalmicus où tout se fondait. Aucun peuple n'a, du coup, plus aucune spécificité mais un panaislamisme qui ne s'inscrivait pas dans la renaissance d'Al Afghani, Abdou ou Arslan mais plutôt un takferisme qui consistait à excommunier tous ceux qui ne se fondaient pas dans le moule wahhabite. La globalisation ou la mondialisation a jeté aux orties toutes les bases de l'éthique héritées de la Renaissance et des Lumières. L'effondrement du bloc soviétique par la suite, a laissé place à un néolibéralisme triomphant. La mise en place d'un espace économique mondial, unifié et libre d'accès, apparaît irrépressible, dans l'ordre des choses. Ceux qui la mettent en question passent pour des esprits chagrins, des socialistes attardés, des anticapitalistes indécrottables. Un totalitarisme de la pensée a été remplacé par un autre, explique Georges Corm. Inspirée par Hayek, Friedman et quelques autres, la rupture néolibérale a prôné la suprématie d'une économie de rente, de gaspillages massifs, de spéculation financière débridée et aussi de corruption et d'injustices flagrantes. Pour un néolibéral, seuls les entrepreneurs, libérés de toute contrainte, peuvent réaliser le bonheur de l'humanité. Tout au plus peut-on débattre d'écologie et de réchauffement climatique. Le système ne peut être critiqué qu'à la marge. On l'a vu lors de la récente crise financière qui n'a donné lieu qu'à des mesures partielles pour contrôler les banques, limiter les bonus des traders ou entraver les paradis fiscaux. La «philosophie» des réformes exigées par les institutions internationales et les dirigeants du G8 n'ont qu'une finalité : celle de «lever les entraves à l'investissement privé». Pour les grandes entreprises, la croissance économique consiste à s'endetter massivement pour acheter d'autres sociétés. Il citera les déboires des petits épargnants du Crédit Lyonnais dans ce sillage au moment où le grand patron de la banque se coulait une retraite dorée. L'économiste libanais prône une «dé- mondialisation progressive» qui permettrait de «défaire les mécanismes les plus nocifs», mettre un terme aux absurdités économiques et sociales du système actuel et y «ramener de la raison et de l'éthique». Sachant que ce ne sera pas facile, en raison notamment de la manière homogène et stéréotypée dont l'économie est enseignée à l'échelle mondiale. Selon lui, on forme des bataillons de défenseurs acharnés de la globalisation, munis d'un nouveau vocabulaire qui sert d'écran de fumée. Il n'y est question que de «gouvernance» améliorée, de croissance «durable» et de «transparence» à toutes les sauces. Les Etats-Unis, ce gendarme du monde qui est à l'origine de la pensée unique veut absolument maintenir cet état des lieux. Or, «le progrès ne se déclenche que par l'interaction des cultures entre elles, les échanges de connaissances et d'expériences». Pour lui, l'œuvre mondialisatrice a commencé... en 1492, par la chute de Grenade et l'arrivée de Christophe Colomb en Amérique. Les espoirs se trouvent pourtant de ce côté-là. Parmi les facteurs possibles de changement, il parie sur «un déclin continu de la puissance économique américaine». Georges Corm ne manque pas d'analyser «les forces du changement». Au premier rang desquelles il situe le Forum social mondial, héritier des utopies planétaires de société universelle, juste et équitable. Il observe cependant que ce type de mouvement, par sa nature, est profondément réformiste, dans la plainte, mais pas dans l'offensive socialiste. En conclusion, Corm estime que l'on ne saurait faire l'impasse, malgré ses limites, sur l'Etat-nation. Ce dernier exprime le désir d'une collectivité humaine d'être maîtresse de son destin par des mécanismes de représentation de ses membres et le contrôle des actes de ses dirigeants élus afin d'assurer la conformité et l'intérêt de la collectivité et de tous ses membres. La réorganisation de l'espace par les marchés s'étant opérée au détriment de la Démocratie, tout est à refaire. G. H.