Le cinéma algérien se porte bien, à ce qu'on raconte. Même si on les voit pas ou rarement, des sorties de films sont pompeusement annoncées dans les colonnes de la presse nationale. De nouvelles productions sont aussi régulièrement lancées avec toujours la même couverture médiatique enthousiaste du «premier tour de manivelle». On se promet, à chaque occasion, de rendre au 7e art algérien son faste des années 1970 et 1980. Au fond, quand il s'agit du grand écran et même du petit, les Algériens parlent toujours au passé. Ils évoquent avec beaucoup de nostalgie l'époque où toutes les salles de projection disponibles étaient encore en activité, quand le public faisait de longues files devant les guichets, quand les retardataires achetaient leur billet au marché noir en doublant le prix. Aujourd'hui, toutes les salles de cinéma demeurent fermées. Depuis la crise du début des années 1990, la filière a été complètement démantelée. Les entreprises publiques spécialisées (production, diffusion et promotion) ont été dissoutes. Leurs moyens et patrimoines ont changé de main dans le silence absolu. Le public, laissé pour compte, a perdu ses habitudes. Les vrais critiques disparaissent, un à un, dans l'anonymat. Les écoles et les instituts de formation aux métiers du cinéma (actorat, mise en scène, script, direction photo, son, musique, montage, costumes, accessoires, maquillage, décors...) sont inexistants. Tous les professionnels vous le diront, on ne peut pas parler de cinéma sans réseau de diffusion, sans salles fonctionnelles dans toutes les villes, y compris les petites localités, sans professionnels, ni techniciens, ni laboratoires. Un film non exploité, qui ne fait pas sa tournée dans tout le pays, est un mort-né. À quoi cela sert-il de produire des films qui ne seront pas diffusés au grand public?, s'interrogent de nombreux cinéastes algériens qui, pour l'essentiel, sont partis à la recherche de cieux plus cléments. En 2013, le Premier ministre avait paraphé un décret pour le retour des salles de cinéma sous la tutelle du ministère de la Culture. La décision était officiellement motivée par leur remise en service et la promotion conséquente du 7e art. Deux ans plus tard, rien n'a été fait dans ce sens ou presque. Dans une wilaya comme Béjaïa qui comptait une dizaine de salles, seule la cinémathèque ouvre sporadiquement ses portes. Tous les autres cinémas, complètement abandonnés depuis un quart de siècle, sont à refaire de fond en comble. La moisissure et les infiltrations d'eau ont esquinté tout le matériel. Conséquence : faute de critique et de mise à l'épreuve du public, les cinéastes algériens, comme des navigateurs sans boussole, produisent n'importe quoi. La qualité des productions est, de l'avis des spécialistes étrangers, médiocre. Le niveau thématique et esthétique des nouvelles productions est à parfaire. Les résultats sont là. Au dernier Fespaco (Ouagadougou, 28 février au 7 mars 2015), l'Algérie s'est présentée avec 14 films et seuls deux ont été retenus par le comité de sélection du festival pour la compétition. Le Mali y a proposé deux films qui ont été pris. La Mauritanie a participé avec un seul film qui a été aussi «accepté». À la tombée du rideau, ce sont les Marocains qui ont raflé la mise en prenant le prix du meilleur long métrage (Fièvres de Hicham Ayouch) et celui du meilleur court-métrage (De l'eau et du sang de Abdelilah Eljouhary). Il y a manifestement un problème. Certains confrères, pour expliquer cet échec du cinéma algérien, ont douté de l'impartialité du comité de sélection, constitué de professionnels européens et africains. C'est plutôt mince comme argument. Bon, le tableau n'est pas totalement noir. On a cependant des cinéastes très motivés avec des projets sérieux et qui, pour certains d'entre eux, réussissent à faire de belles choses que cela soit à l'étranger ou ici en Algérie. Le grand problème consiste à rendre au cinéma son patrimoine et ses salles. À partir de là, tout ira pour le mieux. Les spécialistes plaident pour la mise en place des fondements d'une véritable industrie cinématographique pour ne pas retomber trop vite dans les travers du passé. Dans une telle perspective, la tutelle devra associer les opérateurs privés à ce grand chantier. Les distributeurs indépendants, les petites boîtes de productions privées, les ciné-clubs et les associations spécialisées peuvent, en effet, être d'un grand apport à ce sujet. Ils ont certainement une meilleure connaissance du marché et disposent d'une certaine expérience. Des salles, rénovées et dûment équipées, peuvent être confiées à ces acteurs sur la base d'un bail raisonnable et d'un cahier des charges bien clair. L'Etat se désengagerait ainsi des tracas de la gestion quotidienne et de la charge salariale, en ne conservant que le contrôle. À terme, un tel choix permettrait la mise en place de réseaux professionnels, la (re)vulgarisation de la culture cinématographique et, pourquoi pas, la création d'un marché et d'une industrie. Sinon, on tournera toujours en rond. K. A.