Retracer en quelques lignes le parcours de la presse indépendante et l'évolution de la corporation depuis l'application de la loi Hamrouche en 1990, est une catharsis douloureuse pour peu qu'on le fasse avec un minimum d'objectivité en élaguant le nombrilisme et le miroir occultant les réalités amères que connaît la profession. En effet, l'émergence de la presse indépendante, concept usité pour la différencier sur le plan organique de la presse publique, se devait être l'émergence de collectifs issus de batailles homériques pour arracher les libertés sous toutes leurs formes, dont la liberté d'expression pour prendre définitivement ses distances avec toutes les émanations du pouvoir. Et donc voir naître des titres animés par des hommes et des femmes tentant une véritable aventure intellectuelle au profit de lecteurs assoiffés de vérité en adéquation avec une nouvelle presse à même de peser sur l'opinion publique et s'ériger en contre-pouvoir, à l'image des sociétés démocratiques. Au fur et à mesure des années et à chaque éclosion d'un nouveau titre, force est de reconnaître, deux décennies plus tard, que sans l'accompagnement de mesures voulues et décidées par les pouvoirs publics, à savoir des subventions conséquentes : rétributions financières directes, mise à disposition de locaux à des loyers dérisoires, assiettes de terrains, exonérations fiscales et, surtout, une manne publicitaire gouvernementale via le monopole de l'Anep, vouée maintenant aux gémonies, peu de confrères, et c'est tant mieux pour eux, n'auraient pu atteindre une aura certaine. Rendre à César ce qui appartient à l'Etat algérien est un devoir de vérité. Un Etat qui n'a eu de cesse de subir les harcèlements et les condamnations de nombre d'ONG internationales, dont la tristement célèbre RSF de R(B)obert Ménard, qui, toute honte bue, était, juste avant d'être viré, le domestique parfait d'une association dirigée par une princesse qatarie et, oh miracle !, des pétrodollars, subitement devenu aveugle, pour louer les libertés d'expression dans son nouvel eldorado, admiratif de la liberté de la presse locale en parfaite symbiose avec la chaîne El Djazeera, pourtant interdite de rapporter le moindre fait ou critique de l'actualité qatarie puisque appartenant à la monarchie régnante. Sans jouer à Robespierre et ainsi condamner ce mode opératoire, qui consiste à accepter les aides et les subventions de l'Etat, à l'image de ce qui se pratique dans les économies libérales pour le développement de la presse, bien au contraire, l'éthique et la solidarité auraient dû faire prévaloir et encourager ce cheminement pour l'ensemble des titres naissants, quelle que soit leur ligne éditoriale, pour inscrire en lettres d'or la problématique des subventions de l'Etat et, ainsi, l'institutionnaliser. Ce qui aurait pour effet, au bout de vingt ans, de voir une presse véritablement indépendante, d'abord libérée économiquement, donc politiquement, pour peu que ses responsables acceptent de prendre de la distance avec des intérêts politiques restreints. Au lieu de cela, c'est un triste bilan que de constater l'état des lieux, plus que déplorable. Soit une corporation entre-déchirée, incapable de s'organiser, où l'aspect pécuniaire est devenu la finalité ultime au détriment de structures syndicales de journalistes représentatives, d'éditeurs unis autour d'un minimum, celui de la préservation de l'éthique, de la déontologie et de la pérennisation des entreprises de presse, dont la colonne vertébrale trinomique - éditeurs, journalistes, diffuseurs - doit être impérativement adossée autour de professionnels issus de la presse, loin des maquignons et d'hommes d'affaires véreux qui ont squatté la profession et perverti, sous le regard complice des pouvoirs publics, les lois en vigueur régissant l'accès au corps de la presse. Une situation similaire à celle qui a coïncidé avec la montée du terrorisme et de la violence politique au cours de laquelle la césure a été brutale dans la corporation en raison de clivages politiques choisis délibérément par des éditeurs qui se sont exprimés de manière claire dans les différentes lignes éditoriales. Seule consolation au cours de cette période, l'union sacrée sans distinction aucune de tous les journalistes face au terrorisme responsable de la mort de 70 de nos confrères. Ce qui a constitué son point d'orgue, sa reconnaissance internationale et sa fierté nationale. Car adoubée au combat de toutes les forces patriotiques et le sacrifice des services de sécurité, la presse nationale, toutes tendances confondues, a été un des remparts décisifs contre l'obscurantisme et l'intégrisme. Des confrères morts au champ d'honneur et pour lesquels, mea culpa, notre corporation n'a pas été à la hauteur pour pérenniser le devoir de mémoire et respecter ainsi un serment quelque peu trahi, ne serait-ce que celui, modeste et humble, de s'occuper de leurs familles, loin des feux de la rampe, des prix honorifiques ou de sondages bidonnés à même d'amplifier les ego. Après le cycle d'une première décennie marquée par la forte empreinte des chapelles idéologiques dans les rédactions et la naissance de nouveaux sherpas politiques en mal de recyclages caméléonesques -politologues, spécialistes sécuritaires, experts économiques et autres indus occupants - à la solde de puissants lobbies, la dernière décennie, qui a coïncidé avec la mise en orbite des deux dernières élections présidentielles, a vu poindre une nouvelle fracture dans la presse algérienne. Encore plus pernicieuse et dangereuse que celles vécues depuis l'émergence d'une presse indépendante censée être pluraliste et donc accepter les choix éditoriaux de chaque titre qui doivent être assurés d'une manière transparente et sans ambiguïté et cela sans attendre le retour d'ascenseur. On ne peut pas combattre et avoir contesté la pensée du parti unique pour retomber dans le monopole de la pensée unique et balayer la diversité des opinions. A la presse d'opposition revendiquant seule le bâton de la démocratie, car contestant le pouvoir en place, on jette en pâture des titres indépendants et conceptualisés comme une presse parapublique car accompagnant la politique d'un président, d'un gouvernement ou des pouvoirs publics en fabricant des étiquettes sur mesure à des desseins de leadership en imposant une omerta à même de protéger de puissants lobbies financiers, et c'est là le véritable danger qui guette l'indépendance de la presse. B-C. H. In La Tribune du 02.05.2010