Alors que, sous d'autres cieux, pouvoirs publics et mouvements associatifs travaillent de concert pour offrir aux pratiquants de la musique amateur «un encadrement adapté, et équilibrer l'offre des ressources et services contribuant à l'épanouissement et au renouvellement des pratiques musicales aux fins de favoriser le rapprochement entre professionnels et amateurs, entre secteur associatif et structures de production, de diffusion et de formation… avec le souci de favoriser l'accès du plus grand nombre à la culture», nous en sommes encore, en Algérie, à déplorer l'extrême cherté des instruments de musique, l'absence de lieux d'entreposage des matériels, la rareté des espaces de pratique de la musique, l'indifférence des responsables de la culture pour les groupes de musique amateur et, plus généralement, le manque d'implication, voire le mépris des pouvoirs publics algériens pour la pratique de ce genre de musique. Alors qu'ailleurs, la question de «l'importance de la pratique amateur pour l'avenir de la vie musicale» a été réglée depuis longtemps, ce secteur constituant désormais un «objectif majeur et réaffirmé de la politique des ministères chargés de la Culture», il se trouve chez nous des responsables de salles de spectacles qui «rallument les lumières pour calmer le public lorsqu'il montre trop de répondant», comme l'a déploré un jeune guitariste d'Oran : «Il y a des années que les groupes amateurs d'Oran (comme ceux des autres wilayas, d'ailleurs) ne peuvent plus pratiquer la musique, explique Djamel, observateur averti de la scène musicale algérienne. Avec l'intégrisme religieux, les arts de manière générale ont subi un sérieux coup d'arrêt dans les années 90. Vingt ans après, nous continuons d'en supporter les conséquences.» L'une de ces conséquences et non des moindres : les établissements scolaires et les universités qui, naguère, étaient dotés de l'essentiel des instruments de musique, en sont aujourd'hui complètement démunis. Et rien ne dit que la situation changera un jour... Des groupes aux abois Loin de ces considérations politiques, les groupes de musique amateur se démènent comme ils peuvent pour continuer «à faire de la musique», seule activité qui leur permette de ne pas «péter les plombs dans un environnement aussi étouffant». Alors, lorsque leurs finances l'autorisent et qu'ils trouvent une salle compréhensible, ils organisent un concert pour les amis : «En général, nous partageons équitablement les entrées avec les responsables de la salle de spectacles. Et quand nous parvenons à réunir 50 ou 75 personnes pour 200 DA, le ticket d'entrée, nous arrivons à peine à entretenir le matériel, rien de plus. Quant à entreposer les instruments de musique, il y a le choix entre la location de locaux à 5 000 DA par mois, ce qui est exclu, et les maisons de jeunes où vous courez le risque de retrouver votre matériel abîmé, ou de ne pas le retrouver du tout», continue notre guitariste qui précise que les salles adéquates sont rares : «Le théâtre Abdelkader Alloula, la salle de cinéma Saada ou l'auditorium de l'USTO sont les seuls endroits où il est encore possible de jouer.» A condition de partager les bénéfices avec ces structures publiques qui en ont aussi grandement besoin (les responsables locaux de la culture ont, à plusieurs reprises, déploré le manque de moyens, ndlr) ou d'avoir ses entrées à l'USTO. «Et même ainsi, on n'est pas à l'abri d'une mauvaise surprise : une sonorisation qui te lâche et tu es dans de beaux draps.» En l'absence d'un environnement favorable, un certain nombre de musiciens se sont tournés vers Internet où ils ont mis en ligne leurs créations : Myspace, Facebook, Youtube, tous les sites sont bons pour faire connaître sa musique : «On ne la reconnaît pas ici, on la reconnaîtra peut-être ailleurs», espèrent ces jeunes musiciens. Ces adversités n'empêchent pourtant pas l'apparition de nombreux nouveaux groupes, rêvant tous du jour où ils pourront sortir le CD qui (à son tour) les sortira de l'anonymat. Selon des chiffres qu'il faut manier avec prudence (des statistiques officielles n'existant nulle part), il existerait à Oran une cinquantaine de groupes amateurs, dont les membres sont âgés de 18 à 30 ans, évoluant dans plusieurs univers musicaux : raï, jazz, rnb, gnawi, rap, heavy metal, punk… Certains ont même déjà produit leur CD. C'est le cas notamment de Hiroshima, un groupe de hip hop et de rnb, créé il y a cinq années, qui représentera Oran dans le concours de musique qui aura lieu à Constantine en juin prochain. Organisé par le Centre culturel français, ce concours offrira au gagnant la possibilité d'effectuer une tournée en Algérie et, au moins, un spectacle en France dans le cadre d'échanges culturels. Enjeux ignorés Délaissée et méprisée par les responsables de la culture de ce côté de la Méditerranée, la musique amateur est, de l'autre côté, considérée comme un secteur déterminant pour l'avenir de la vie musicale mais aussi comme «une composante du lien social et vecteur de diffusion des œuvres et de valorisation de patrimoines spécifiques». Et, en tant que telle, la musique amateur présente plusieurs enjeux artistique et culturel, social et économique extrêmement importants. Si la pratique en amateur est la première étape de la rencontre avec l'art, elle est vecteur d'identité et contribue à créer ou restaurer le lien social. L'enjeu économique n'est pas en reste : pratiquée par des millions de personnes, la musique amateur a généré des milliers d'emplois (jusqu'en 2000, elle a en créé 60 000 en France où elle était pratiquée par quelque cinq millions de personnes de 15 ans et plus). Il faut reconnaître aussi que les ménages dépensaient des millions d'euros (jusqu'en 2000, quatre milliards de francs) au titre des frais de formation, achats d'instruments, de partitions. S. O. A.