Photo : Riad Par Abderrahmane Semmar Trop, c'est trop ! L'envolée des prix des fruits et des légumes a dépassé carrément le seuil du tolérable. Dans plusieurs marchés de détail de la capitale, les citoyens n'hésitent plus à laisser libre cours à leur colère et leur incompréhension face à cette hausse incessante des prix qui touche de plein fouet, et sans exception aucune, tous les produits agricoles. Ces chamboulements imposés à la mercuriale érodent sérieusement le pouvoir d'achat. Ainsi, aux marchés de Boufarik, de Birkhadem, d'El Harrach, de Bachdjarah, de Belouizdad et partout ailleurs, sur toutes les lèvres, on ne lit que cette lancinante question : «Jusqu'où ira cette folie des prix ?» Il faut dire que, durant ces deux dernières semaines, les prix de plusieurs fruits et légumes ont encore atteint des cimes. Pour preuve, en l'espace de dix jours, nous l'avons constaté suite à une tournée dans divers marchés de fruits et de légumes : le prix de la pomme de terre est passé de 45 à 65 DA. Dans certains quartiers d'Alger, le prix de ce tubercule très prisé par les Algériens a atteint même les 70 DA. Le chou-fleur qui frôlait à peine les 55 DA, il y a de cela 15 jours, est cédé aujourd'hui à pas moins de 110 DA ! Le navet varie entre 60 et 70 DA alors qu'il avoisinait difficilement les 30 DA. Quant au kilo de cardes, son prix vient de doubler ces deux dernières semaines puisque de 20 DA, il est passé à 40 DA. Le céleri a battu également tous les records. Et pour cause, il faut débourser au moins 95 DA pour en acquérir un seul kilo ! Que faire alors dans un pareil contexte pour nourrir sa famille et ses enfants ? Pour répondre à cette question qui hante jour et nuit les esprits des bourses modestes, nos citoyens, notamment les plus pauvres, se rabattent désormais sur les produits avariés. En effet, dans les nombreux marchés de fruits et légumes que comptent Alger et ses environs, les marchands exposent, sans la moindre gêne, sur leurs étals divers produits avariés qui ne manquent pas d'attirer l'attention des consommateurs.En réalité, ces commerçants, mus par leur cupidité, qui se livrent à des activités préjudiciables à la santé publique en vendant des légumes et des fruits avariés, ne font guère de leur activité un cas de conscience. Et pour séduire les plus réticents, ils n'hésitent pas à brandir leur arme fatale : des prix cassés. De son côté, la population, surtout la couche analphabète ou ceux qui ont un niveau de revenus très bas, est de plus en plus nombreuse à se rabattre sur ces produits à cause de leurs prix abordables. «Que voulez-vous que je fasse ? J'ai des enfants à nourrir et tout est cher maintenant. On ne s'en sort plus. Ces pommes avariées ne sont pas toutes impropres à la consommation. Il suffit juste de les nettoyer de leurs taches noirâtres avant de les manger sans crainte», confie, le regard plein de dépit, Mouloud, 48 ans, qui vient d'acheter au marché de Birkhadem un kilo de pommes avariées à 100 DA. «La pomme fraîche coûte au moins 180 DA le kg ! Comment pourrais-je l'acheter avec mon salaire dérisoire. Celle que j'ai achetée est beaucoup moins chère car elle est juste un peu gâtée. A la maison, on va bien la nettoyer pour éviter tout risque d'infection. Voilà tout !», tente-t-il de justifier. En vain, car en son for intérieur Mouloud est conscient du danger qu'il encourt en achetant de tels fruits. «Mais ai-je le choix ? Sans cela, moi et ma famille et moi risquons de mourir de faim», s'écrie notre interlocuteur. Aujourd'hui, les citoyens comme Mouloud qui se lancent à corps perdu dans la quête des légumes et fruits avariés afin de couvrir les besoins alimentaires de leurs familles sont légion. De plus, le recours aux produits avariés prend une telle ampleur que nos marchés se retrouvent actuellement inondés de ces fruits et légumes de «dernière catégorie», pour reprendre l'euphémisme employé par leurs commerçants. Il faut dire que les prix affichés ont de quoi attiser la faim des plus nécessiteux. Si la banane fraîche s'affiche à 130 DA, les marchands de produits avariés la propose à 65 DA ! Soit moins de 50%. Il en également ainsi de la salade. Alors que la fraîche revient à 90 DA, des citoyens se la procurent à 40 DA même si elle est étiolée, blanchie et fanée. Les fèves avariées s'écoulent à 25 DA, et les fraîches à moins de 50 DA. Devant une aussi grande différence de prix, le cœur des citoyens penche rapidement. «Allah Ghaleb, seuls ces produits sont à ma portée. Je ne vais pas quand même laisser ma famille crever de faim ! Il y a certes un danger pour notre santé. Mais parmi tous ces produits, on trouve toujours de quoi consommer sans risque. On essaie à chaque fois de rester vigilant», croit savoir un hadji qui avoue ne plus disposer d'une autre alternative pour subsister dignement. Lui et ses deux enfants n'arrivent plus à faire face à la cherté de la vie. Enfin, une chose est sûre, la dégradation continue du pouvoir d'achat des familles algériennes encourage chaque jour la consommation et le commerce des fruits et légumes avariés. La paupérisation des couches sociales à faibles revenus renforce aussi cette pratique. En voyant de jour en jour leur panier se rétrécir comme peau de chagrin, des citoyens se disent obligés de consommer «avarié» ! Mais peut-on le leur reprocher à l'heure où les pouvoirs publics se montrent toujours impuissants à juguler cette flambée ?