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Dans l'opulence pour les uns, dans la misère pour les autres
Dans deux jours, les Algériens entameront le mois de jeûne
Publié dans La Tribune le 19 - 08 - 2009

«Trop, c'en est trop ! L'envolée des prix des fruits et des légumes a dépassé tout entendement et l'on se demande bien à quelle gymnastique nous devrons
nous adonner pour arriver à boucler le mois de Ramadhan sans trop souffrir. Et dire que ce dernier est un mois de ferveur et de piété censé apaiser les instincts les plus fous, y compris la cupidité de certains commerçants dont seul le gain facile a droit de cité.» C'est en ces termes que nous a apostrophés un père de famille, rencontré dans l'un des marchés de la capitale.
Là où nous nous sommes rendus, les mêmes réactions reviennent. Que ce soit à Birkhadem, El Harrach, Belouizdad ou à la place du 1er Mai, les citoyens ne peuvent s'empêcher de laisser libre cours à leur colère et à leur incompréhension face à cette hausse incessante des prix qui touche de plein fouet, et sans exception aucune, tous les produits agricoles. Ces chamboulements imposés à la mercuriale érodent aujourd'hui sérieusement le pouvoir d'achat de nombreux pans de la société. Des produits voient leurs prix doubler, voire tripler sans que personne ne s'en inquiète outre mesure.
Une certaine anarchie règne dans les marchés, aidée en cela, il faut le dire, par la frénésie des citoyens qui se ruent littéralement sur les étals, achetant tout ce qui leur tombe sous la main. Sur toutes les lèvres, on lit que cette lancinante question : «Jusqu'où ira cette folie des prix ?» «Déjà qu'en temps normal, les prix des fruits et légumes sont hors de portée des modestes revenus. Alors, qu'en sera-t-il pendant le Ramadhan, période durant laquelle les prix montent en flèche ?» s'interroge un retraité, un couffin à la main. Pour les citoyens, ce qui est inexplicable, c'est le laxisme, voire la fuite en avant des pouvoirs publics qui rechignent à connaître les véritables raisons de cette flambée pour tenter d'y mettre un terme. Pour d'aucuns, cette envolée des prix est une fatalité. «Quel que soit l'arsenal juridique mis en place pour contrer les spéculateurs, ces derniers ont toujours leurs ficelles pour s'en sortir.
Personne ne peut les contrer.
Ils sont si organisés que personne ne peut les inquiéter», insistera une dame rencontrée dans l'un des marchés de la Mitidja. Il faut dire que, durant ces deux dernières semaines, les prix de plusieurs fruits et légumes ont atteint des cimes. Même le «légume du pauvre» ne veut pas descendre sous la barre des 50 dinars. Et dire qu'un système de régulation des produits de large consommation (Syrpalac) a été lancé en juillet de l'année dernière.Il avait pour but de réguler le marché de la pomme de terre en maintenant le prix de vente au détail à 25 DA le kilo ! «Une année après son lancement, force est de constater que ce système s'est avéré inefficace», nous dira un citoyen rencontré à bord d'un train de banlieue. De même, la récente envolée du prix du poulet que les
officiels imputentà la canicule, au manque de climatisation dans les lieux d'élevage et à la cherté des prix des médicaments et des graines, n'a laissé personne indifférent.
Le courroux des citoyens semble monter d'un cran lorsqu'ils entendent des affirmations de la part des officiels du genre «les produits de large consommation sont largement disponibles sur les étals». Certes, le produit est disponible, mais à quel prix ! Tout un chacun est convaincu qu'il n'y a pas de pénurie. Ce qu'il y a,c'est que le consommateur subit le diktat des spéculateurs. Pour expliquer cette flambée des prix, certains analystes mettent en avant l'inadéquation entre l'offre et la demande au moment où d'autres l'imputent à la prédominance de l'informel. Quoi qu'il en soit, on tente de s'organiser comme on peut pour accueillir le mois sacré. En dépit des vicissitudes de la vie et des difficultés d'ordre financier, les pratiquents de ce mois sacré n'ont pas changé d'un iota. Certaines familles ont conservé l'habitude consistant à acheter de nouveaux ustensiles à chaque fois que le Ramadhan est de retour.
D'autres, moins nombreuses, peignent leur maison. C'est leur façon de démontrer leur attachement à ce mois. «Nous avons hérité ces habitudes de nos parents. Si nous ne procédons pas de la sorte, c'est comme si quelque chose nous manquait. A la fin du Ramadhan, un goût d'inachevé s'empare de nous. Pour nous, ce mois ne peut ressembler aux autres. Il est similaire à un invité qui vient vous rendre visite et que vous devez bien recevoir», nous dira une vieille dame habitant la périphérie de la capitale. Et si, durant le mois de Ramadhan des familles vivent dans l'aisance, voire l'opulence (ce qui s'accompagne souvent de gaspillage), il ne serait guère exagéré de dire que d'autres ne trouvent pas quoi se mettre sous la dent à l'heure de la rupture du jeûne. A l'instar des années précédentes, l'avènement du mois de Ramadhan est synonyme d'entraide et de solidarité envers ces familles. La misère des gens semble s'exacerber pendant ce mois. Certains ne semblent découvrir la pauvreté de nombreux pans de la société que durant le Ramadhan. Et dire que cette pauvreté est présente à longueur d'année ! Pour tenter de mettre un peu de baume au cœur des démunis, des actions sont organisées à leur profit. Dans ce cadre, le ministère de la Solidarité nationale fait état de 1,2 million de familles ayant exprimé un besoin d'aide alimentaire durant le mois de Ramadhan. Du côté du
département de Djamel Ould Abbès, on prévoit de distribuer près de 1,8 million de couffins pendant toute la période que durera le jeûne. Comparée à l'année 2007 qui a connu la distribution de 1,4 million de couffins, on est tenté de dire que ce paramètre pourrait être un indicateur attestant l'étendue de la paupérisation.
Outre ce qui précède, il y a lieu de noter que 6,3 millions de repas sont prévus au niveau des 600 restaurants ouverts à cet effet par le ministère de la Solidarité nationale.
Pour la réussite de l'opération, des milliers de personnes sont mobilisées. L'enveloppe financière dégagée pour cette circonstance s'élève à quelque 2,6 milliards de dinars. Il y a lieu de noter que les bienfaiteurs y ont contribué à hauteur de près de 4%. Autre partenaire incontournable dans cette opération solidarité avec les familles démunies : le Croissant-Rouge algérien. Forte de ces nombreuses années d'expérience sur le terrain, cette organisation fait tout pour venir en aide à des milliers de personnes fragilisées économiquement.
«Nous envisageons l'ouverture de restaurants dans les 48 wilayas du pays. Nos comités de wilaya travaillent d'arrache-pied pour faire en sorte que nos invités soient reçus dans les meilleures conditions possibles. Je dois vous dire que les bienfaiteurs ont toujours été à nos côtés. Certains vous remettent des sommes d'argent et des denrées alimentaires tout en insistant pour garder l'anonymat», nous dira le SG du Croissant-Rouge algérien. En guise d'illustration, notre interlocuteur nous donnera l'exemple de la capitale où pas moins de 13 restaurants seront ouverts à l'heure de la rupture du jeûne.
«Certains propriétaires de restaurant ferment leurs locaux pendant le mois de Ramadhan et les mettent à notre disposition. C'est tout de même un paramètre révélateur de la solidarité dans notre pays. Malgré tout, la solidarité est omniprésente. En dépit de tout ce qui se dit sur les chamboulements que connaît la société et sur l'aspect matériel qui semble avoir pris le dessus sur toute autre considération, Dieu merci, il est encore des gens pour qui faire du bien est plus qu'une seconde nature», assurera-t-il. Dans deux jours, et l'espace d'un mois, les habitudes des Algériens, dont bien évidemment celles ayant trait au volet alimentaire, seront chamboulées. Les achats frénétiques dans les marchés, les prises de bec entre automobilistes (particulièrement en fin de journée) et les absentéismes au travail seront certainement légion. Mais, tout compte fait, n'est-ce pas là les ingrédients d'un Ramadhan algérien ?
B. L.


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