Photo : Riad De notre correspondant à Annaba Mohamed Rahmani Crise financière, résiliations de contrats, entreprises de sous-traitance en faillite avec mise au chômage de centaines de travailleurs, accidents du travail récurrents, menaces de grève, détournements et fausses factures, le complexe sidérurgique ArcelorMittal d'El Hadjar (Annaba) est dans la tourmente et risque à son tour de connaître le même sort que certains sites de production en Europe. La situation à l'intérieur de l'usine est explosive, le moral des ouvriers en a pris un coup et vraisemblablement les choses vont en se dégradant. A la fin du mois de février dernier, après la «montée au feu» du syndicat de l'entreprise qui avait soumis à la direction générale une plate-forme de revendications, celle-ci a été refusée dans un premier temps, ce qui avait fait monter la pression, reportée par la suite avec comme menace un préavis de grève déposé. La grève éloignée pour un temps, pend toujours comme une épée de Damoclès puisque prévue pour le 6 juillet prochain si les revendications ne sont pas satisfaites. Le mois en cours a été riche en événements ; la grogne des ouvriers a touché presque tous les services et les ateliers, rassemblements, réunions et autres pressions sur l'employeur pour l'amener à améliorer les conditions de travail et à revoir à la hausse les salaires. Ainsi, le débrayage des aciéristes suivi par celui des travailleurs du laminoir à froid avait mobilisé la quasi-totalité des travailleurs de ces deux importantes unités du complexe paralysées pendant quelques heures avant une reprise qui s'est faite bon gré mal gré. Il y a trois jours, ce fut au tour du laminoir à chaud d'en découdre avec la direction du complexe qui s'est trouvée assiégée par 300 travailleurs en combinaison de travail. Ces derniers protestaient contre les conditions dans lesquelles ils travaillent et se plaignaient que la direction de leur unité ne se soit pas occupée de leurs problèmes. Celle-ci, gérée par un intérimaire, ne pouvait prendre de décisions et avait laissé pourrir la situation jusqu'à ce que les travailleurs manifestent leur colère en marchant sur la direction générale. Le secrétaire général du syndicat de l'usine, M. Smaïl Kouadria, était intervenu auprès de l'employeur représenté par M. Bernard Bousquet avec lequel il a eu un entretien qui a duré près de trois heures. A l'issue de cette réunion, il a été convenu entre les deux parties qu'avant la fin du mois de mai la situation sera réglée «M. Bernard Bousquet, déclare le SG du syndicat, a promis de nommer un directeur pour le laminoir à chaud [LAC] avant son départ à la retraite à la fin du mois de mai. Toutes les revendications des travailleurs seront satisfaites, à savoir la réorganisation des cycles de travail, l'amélioration des conditions socioprofessionnelles, la classification et la nomination des postes ainsi que la formation et la stabilité des personnels de sous-traitance.» Depuis sa nomination comme directeur général du complexe d'El Hadjar, il y a 18 mois, M. Bernard Bousquet a eu à gérer des situations de crise qui ont secoué l'usine qui emploie aujourd'hui près de 7 000 travailleurs : incendies, accidents de travail, mouvements de protestation des ouvriers et récemment le scandale Grant Smithy Works (GSW), une entreprise indienne spécialisée dans la récupération des déchets ferreux. Cette affaire, mise au jour par le syndicat suite à des dispositions prises par la direction dans le cadre d'une politique d'austérité et d'une rationalisation des dépenses, avait amené l'intervention du CTRI dont l'enquête avait révélé des pratiques illégales qui avaient fait perdre au complexe des milliards de DA (voir notre édition du 22 mars 2009). Le procès de cette affaire, qui a défrayé la chronique à Annaba, s'est tenu mercredi dernier et a duré jusque tard dans la nuit pour être finalement mis en délibéré ; le verdict sera rendu mardi prochain. Trois ans de prison ferme avaient été requis par le procureur près le tribunal d'El Hadjar à l'encontre des principaux accusés dans cette affaire, Agarawla Satyam, p-dg de GSW, Parakaash Jaia, son superviseur et deux gardiens algériens impliqués pour avoir été complices en facilitant l'accès des véhicules de l'entreprise GSW. La plaidoirie de la défense avait tenté de semer le doute en s'appuyant sur les déclarations des accusés qui avaient nié en bloc tous les griefs retenus contre eux. Les questions qui se posent et qui s'imposent dans cette affaire sont : pourquoi a-t-on fait appel à une entreprise indienne pour «investir» dans la récupération des déchets ferreux ? Comment a-t-elle pu décrocher des contrats auprès du complexe au moment où la crise bat son plein ? Pourquoi bénéficie-t-elle d'un régime de faveur ? Pourquoi lui a-t-on accordé des crédits ? Cette entreprise, qui a profité au maximum des largesses d'un complexe pourtant en crise, est allée jusqu'à piller ses finances en lui fourguant ses propres déchets avec la complicité de ceux-là mêmes qui sont censés veiller à sa protection. Durant toutes les situations difficiles qu'a traversées le complexe, la direction générale s'est confinée dans un mutisme qui n'est pas pour rassurer les travailleurs sur l'avenir de leur usine. Cette absence de communication conforte toutes les interprétations et fait courir les rumeurs les plus folles sur le plus grand complexe sidérurgique en Afrique.