De notre correspondant à Paris Merzak Meneceur Si octobre a été en France un mois clément, les affaires politico-judiciaires ont connu leur printemps. Dès les tout premiers jours du dixième mois de l'année, a ressurgi l'affaire Ben Barka avec la volte-face du parquet qui, en quarante heures, a autorisé puis bloqué quatre mandats d'arrêt internationaux contre des responsables et agentssecrets marocains «La raison d'Etat a, une fois de plus, prévalu contre la recherche de la vérité», ont accusé ceux qui luttent pour que justice soit enfin rendue. S'ensuivit le procès fleuve sur l'affaire Clearstream, terminé sur un délibéré (verdict le 25 janvier) prévoyant une lourde peine contre l'ancien Premier ministre, Dominique de Villepin. Puis ce fut au tour de l'affaire Angolagate sur les ventes d'armes illégales à l'Angola, avec l'ancien ministre de l'Intérieur Charles Pasqua qui a écopé d'une peine d'une année de prison ferme. Enfin, le renvoi devant le tribunal correctionnel de l'ex-président de la République, M. Jacques Chirac, pour des faits qui remontent aux années 1992-1994, quand il était maire de Paris. Ce dernier acte du mois qui vient de s'écouler a fait l'effet d'une bombe car un ancien chef de l'Etat devant la justice est du jamais vu en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale avec la condamnation à mort du maréchal Pétain pour haute trahison. Aucune comparaison donc entre les deux cas car rien n'est reproché à Chirac pour ses douze années (1995-2007) à la tête du pays qui est aujourd'hui l'homme politique le plus aimé des Français avec 76% d'opinions favorables.Cette popularité n'a pas empêché la juge d'instruction Xavière Simeoni d'envoyer Chirac devant le tribunal correctionnel pour «abus de confiance et détournement de fonds publics» dans la dite affaire des «emplois fictifs» de la ville de Paris. Malgré l'avis du parquet qui a demandé un non-lieu général, la juge a estimé que sur les 487 emplois fictifs qui figuraient initialement dans le dossier, seulement 21 sont à retenir. Suffisant, a-t-elle conclu, pour traduire en justice l'ancien chef de l'Etat qui était protégé par l'immunité durant ses douze années de pouvoir, le dépôt de la plainte remontant à 1995. Si l'intéressé a déclaré être «serein et décidé à établir devant le tribunal qu'aucun des emplois qui restent en débat ne constitue un emploi fictif», la classe politique s'est trouvée dans l'embarras, dans une certaine gêne. Si unanimement les prises de position trouvent normal que la justice passe car Chirac est un justiciable comme tout autre citoyen, nombreux, à droite comme à gauche, ont exprimé un certain regret de voir l'ancien président poursuivi pour des faits vieux de plus de quinze ans au moment où il s'apprête à fêter ses 77 ans. Même le Parti socialiste trouve qu'«un ex-chef d'Etat devant un tribunal pour des emplois fictifs, ce n'est pas la meilleure image qui soit» pour la France. Transcendant l'affaire, l'ancien ministre Jean-Pierre Chevènement a tenu à dire que Chirac restera dans l'histoire comme «l'homme qui s'est opposé à George W. Bush contre l'invasion de l'Irak». Le renvoi de Chirac devant la justice et la série d'affaires politico-judiciaires d'octobre ont un dénominateur commun qui suscite un débat d'une grande importance pour l'avenir de la justice française : c'est que, à chaque fois, les juges n'ont pas suivi les réquisitions du parquet. Cela est considéré comme une expression de l'indépendance de la justice qu'ont tenu à affirmer les juges d'instruction car dans un projet de réforme de la procédure pénale initié par le président Sarkozy, il y a tout simplement leur disparition ! Ils seront remplacés par des juges du parquet nommés… par le pouvoir exécutif. Comment avec une telle réforme pourrait survivre l'indépendance de la justice ? La question est posée et nombreux sont ceux qui affichent leur scepticisme, voire leur opposition à l'avènement de cette réforme.