De notre correspondant à Tzi Ouzou Lakhdar Siad La situation n'a pas beaucoup changé pour les habitants des cités de «recasement» de l'époque coloniale en Kabylie. Pis, les familles de condition généralement misérable se sont, depuis, multipliées, aggravant davantage leur site déjà sous-équipé. Rares sont celles qui ont pu construire sur les anciennes ruines pour offrir à leur progéniture un minimum de conditions d'habitat alors que les autorités ne leur ont presque rien proposé pour les aider à sortir de la précarité après l'indépendance. Ces cités ne rappellent pas de bons souvenirs à leurs habitants et peuvent être considérées comme des vestiges sombres de l'époque de la guerre d'indépendance. Leur construction entrait, d'ailleurs, dans la politique coloniale de contenir les actions de soutien en faveur de l'ALN (Armée de libération nationale). On dénombre deux sortes de cité érigées en zones urbaines de Kabylie, selon des données relevées sur ces périmètres et auprès des habitants. Il y a les cités pour les petits salariés autochtones et les cités où étaient parqués et surveillés jour et nuit par l'armée coloniale les activistes du soulèvement anticolonialiste et leurs familles. Ces deux cités sont présentes dans la commune d'Azeffoun, qui a connu pendant la guerre d'Algérie une activité armée remarquable. Il y a la cité rurale qui occupe actuellement le centre du périmètre urbain destiné aux salariés autochtones et la cité rurale Mlata, à l'époque un véritable fort militaire, situé sur le front de mer, à la sortie ouest d'Azeffoun. La cité d'Azeffoun était constituée de 26 logements à sa construction vers 1960. «Avec les 5 autres logements construits par les collectivités locales après l'indépendance, il y a au total 31 logements. Les premiers étaient cédés avec un acte dûment établi par l'administration pour 500 francs français et les 5 autres loués par l'APC à des pères de famille dont le métier était jugé utile pour le bien de la commune», affirme M. Kader Belaïdi, enseignant de tamazight, qui a passé environ trois décennies dans un logement de la cité d'Azeffoun acheté par ses parents. Ces logements exigus et incommodes même pour une petite famille sont composés d'une seule pièce, d'une cuisine, d'un WC et d'une sorte de petite cour. A leur livraison et jusqu'aux années 1970, ces logements vraisemblablement construits à la hâte, n'étaient pas raccordés aux réseaux d'eau et d'électricité. La cité était située à quelques mètres de la caserne d'Azeffoun (anciennement école de la ville), dans le but peut-être d'avoir à l'œil les résidents et de surveiller leurs mouvements. «Les acheteurs étaient des salariés qui travaillaient chez les colons, essentiellement dans les vignobles ou en tant que marins pêcheurs chez les Italiens. Une petite poignée d'autres acquéreurs avait de petits commerces en ville», ajoute M. Belaïdi en se basant sur les témoignages de son défunt père et en soulignant que l'arrière-pensée de l'administration française en construisant ces cités rurales était d'isoler ces familles, qui avaient une certaine rente, de la guerre et «d'empêcher qu'elles entrent en contact avec les moudjahidine et leur viennent en aide grâce à leur revenu». La cité rurale de Fréha, à 35 kilomètres de Tizi Ouzou, relève du même plan de construction et répondait plus ou moins aux mêmes objectifs coloniaux de recasement ciblé. Elle compte une cinquantaine de logements environ, plus spacieux que ceux d'Azeffoun, sans eau ni électricité jusqu'au début des années 1980, selon des habitants. La deuxième cité rurale d'Azeffoun, plus grande que la première, appelée communément ici «cité Mlata», a été par contre construite délibérément pour abriter les insoumis à l'ordre colonial ainsi que les membres des familles de ceux qui avaient pris le maquis, selon plusieurs témoignages. La cité était entourée de fil barbelé et de guérites pour les sentinelles de l'armée coloniale. «C'était une véritable caserne avec des tentes en plus des logements étroits pour les recasés d'office et les familles des révoltés», souligne-t-il. Après l'indépendance, cette cité a été agrandie et transformée en village agricole en raison de la vocation agricole des grandes superficies de terre alentour. Cela dit, la précarité domine toujours dans ces cités classées en général dans le registre de l'habitat précaire lors de recensements faits par les autorités locales. Si quelques familles ont pu construire de nouvelles habitations qui répondent à un minimum de conditions d'habitat, beaucoup d'autres, sinon la majorité, végètent encore dans ces taudis. Pour ces nombreuses familles, les traces du colonialisme sont toujours là.