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Le viol de l'imaginaire
La lecture salutaire, en ces temps de mystification coloniale, d'Aminata Traoré et de son livre
Publié dans La Tribune le 28 - 01 - 2010

Alors que sur notre propre sol se déroule une campagne transformant un militant avéré et infatigable de l'Algérie française en «humaniste amoureux» de l'Algérie, la rencontre du livre de la Malienne Aminata Traoré nous révèle ô combien la démarche de mystification et de mensonges est générale et vise toutes les indépendances africaines. Nous étions quelques-uns à nous révolter et croire que cette falsification de l'histoire ne visait que notre guerre de libération
nationale pour la délégitimer et par d'autres biais la salir. Erreur : la mystification et le mensonge ne visent pas seulement notre guerre de libération mais tous les processus de libération qui ont émancipé ou participé à émanciper l'Afrique. Elle n'est pas conjoncturelle mais structurelle. C'est tout le temps que les idéologues du néocolonialisme travaillent notre façon de voir le monde pour l'altérer et la rendent conforme à leurs intérêts et à leurs buts.
Elle ne vise pas seulement les symboles culturels ou politiques mais tous les domaines de la vie sociale et économique. Pourtant, la rencontre de ce livre a été accidentelle. Publié aux éditions Actes Sud Fayard. Il date déjà.
Le dépôt légal est daté de février 2004. Quelques indications laissent penser qu'il a été écrit entre l'attentat du World Trade Center du 11 septembre 2001 et les élections maliennes de 2002. Il aura fallu plusieurs années et un gros hasard pour qu'ait lieu la rencontre avec le texte d'Aminata, qui, répétons-le, est pourtant essentiel pour l'Algérie. Le contenu du livre est-il pour quelque chose dans le désintérêt des importateurs pour Le viol de l'imaginaire ? La question a de l'importance et remet en lumière cette dépendance des pays africains dans la distribution et la connaissance des travaux africains. Cette dépendance
de Paris, de Londres ou de New York nous prive du partage d'une expérience commune. Ô combien commune quand on lit certains passages de ce livre
relatifs à la désindustrialisation ou plus correctement de la désertification industrielle, à l'insertion forcée dans des marchés dont les règles nous échappent entièrement, aux programmes d'ajustement structurels et leurs effets désastreux sur les tissus et les liens sociaux. Bien sûr, on peut rétorquer que tout le monde connaît les institutions de Bretton Woods. Mais cela n'a rien à voir de le savoir en théorie et de lire un texte qui rend la chair et le sang des femmes et des hommes qui en vivent les conséquences. Cela n'a rien à voir de le savoir en théorie et de lire l'expérience d'un pays voisin pour y retrouver la trame de notre propre histoire face à la religion du marché et à l'agressivité du néo-libéralisme à peine enrobée dans le miel des experts qui savent contorsionner les mots et ne pas appeler un chat un chat. Un exemple de cette expertise des experts à contourner la vérité se trouve dans le livre d'Aminata. Pour faire passer la pilule de la coupe dans les budgets de l'éducation au Mali, pays d'Aminata, ces experts parlent de «rationalisation des dépenses». Il fallait trouver ! Et tous les jours dans les médias on consulte ces experts du travestissement. L'analyse d'Aminata Traoré du langage des experts et des institutions financières internationales mettent à nu ce travestissement et cette capacité des dominants à faire passer une prise de position idéologique ou politique pour de la neutralité scientifique. Et cela marche. Cela marche même très bien et Aminata démonte les mécanismes par lesquels une norme théorique est maquillée en nécessité du réel. Ce livre est d'autant plus sensible et vraie que, livre de femmes, il parle beaucoup des femmes. Comme elles supportent et subissent le plus le choc des ajustements structurels car elles gèrent le quotidien des enfants -et des maris- Aminata nous transmet mieux le désastre dans lequel nous plongent les dirigeants africains qui se sont mués en exécutants des orientations et des conseils des anciennes puissances coloniales, des grandes
puissances et des institutions financières internationales. Mais comme il s'agit de démystifier et de parler du viol de nos imaginaires, Aminata questionne tous les concepts qui nous été refilés. A commencer par la notion de pauvreté. Elle déconstruit avec brio, élégance et sensibilité les programmes de lutte contre la pauvreté. Elle montre combien cette notion était étrangère à notre continent. Dans les économies de subsistance ou dans nos économies précapitalistes, le travail visait la subsistance, pas les richesses et si des familles connaissaient des passages difficiles, les liens sociaux et les solidarités traditionnelles leur permettaient de passer le mauvais cap. C'est au contraire l'argent, la marchandisation des rapports sociaux, l'intrusion du marché qui a transformé les modèles de vie dont les standards et les critères de réussite et de bonheur n'avaient rien à voir avec la consommation et l'argent. Elles montrent comment
ces institutions financières ont imposé des critères comme le seuil minimum de pauvreté, calculé le revenu en dollar, par tête et par jour, fourvoyé les
dirigeants africains et les ont poussés dans l'exécution de politiques qui ont aggravé la dépendance de nos pays, dissous encore plus les liens sociaux,
détruit davantage les économies villageoises et endetté les Etats. Extraordinaire démonstration qui nous éclaire, de nouveau, sur cette vérité, que nous connaissons pourtant, que la domination et l'exploitation ont d'abord besoin d'occuper nos têtes pour mieux occuper nos terres et de nous exploiter à moindre frais. Le problème est de savoir constamment repérer dans les discours du néolibéralisme la notion «innocente», celle qui «va de soi» mais qui en réalité ne va pas du tout de soi. Cette occupation de nos têtes n'est pas une préoccupation supplémentaire des puissances néocoloniales. Elle reste primordiale dans les conditions politiques actuelles.
Il est passé le temps des canonnières et des coûts de l'occupation directe. Le temps des guerres, lui, n'est pas passé, bien au contraire. Aminata montre que les guerres vont s'intensifier mais en évitant les coûts trop élevés. Evidemment, les attentas du World Trade Center tiennent une grande place dans son analyse car elle y décèle un tournant dans la configuration des violences mais dans la configuration des soumissions aux politiques hégémoniques des Etats-Unis sous les intitulés de guerre contre le terrorisme et avec les nouvelles idéologies impérialistes dont les droits de l'Homme et la démocratie
représentative sont à la fois des chevaux de Troie et les repères d'alignement des dirigeants africains. Aminata analyse la sphère des idéologies mais elle se refuse aux fausses frontières. Elle passe de l'économie, au social, au culturel dont elle nous fait déceler les liens intimes. Le «travail» fait dans toutes les sphères de la vie de nos pays concourt au même but : obtenir la soumission des Etats par tous les moyens de pression possibles et d'abord par la conquête des esprits. C'est quand même extraordinaire que découvrir que pour deux pays aussi différents que l'Algérie et le Mali les mêmes recettes ont été utilisées, les mêmes mots et sur la base de la même réalité. C'est fascinant de découvrir avec elle comment la langue et le langage sont à la base de cette domination mentale et comment ils agissent en fonction des appartenances sociales, des rangs dans la hiérarchie sociale et institutionnelle. Plus les dirigeants, à tous les niveaux, profitent de l'écart qui se creuse entre riches et pauvres, plus ils deviennent militants acharnés du libéralisme. Evidemment, ils y trouvent leur compte mais, là encore, c'est différent sous la plume d'Aminata car s'éclaire sous un jour sensible, humain et révoltant, cette alliance des nouveaux riches avec les intérêts étrangers. Cette occupation des têtes détruit profondément la capacité des élites à imaginer d'autres voies que celles du sous-développement et rend très difficile pour les peuples à imaginer d'autres voies pour la résistance à ces orientations étrangères qui les détruisent dans leur culture et dans leur être. Aminata est, conformément à son analyse, une antimondialiste. Pas une altermondialiste.
Une antimondialiste. Elle nous parle de Porto Allegre, des convergences nécessaires des luttes pour une autre agriculture, pour des systèmes justes pour la santé et l'éducation, pour la préservation des cultures ancestrales et la préservation des langues et des coutumes qui nous ont donné, à nous Africains, cette dimension humaine dans le rapport respectueux à la nature, au monde et aux autres. Par les chemins qui sont les siens, elle nous montre comment le néolibéralisme détruit toutes les altérités, toutes les singularités culturelles pour uniformiser le monde en consommateurs des mêmes produits, standardisés sur tous les plans. C'est phénoménal de redécouvrir qu'il n'existe pas pire ennemi de la diversité, de la tolérance, de la cohabitation que le marché et le néolibéralisme. Les effets pratiques sont l'exact opposé de ce que proclame la propagande. L'écriture de ce livre ressemble à son contenu. Elle est battante, ample, simple. Elle allie analyse théorique et retour vers le vécu. Elle rappelle beaucoup l'écriture de Peau noire masques blancs de Fanon.
On y trouve la même combativité dans le style, la même capacité à aller tout de suite à l'essentiel et aux bonnes questions. Elle n'explose pas seulement les idées dominantes. Elle explose aussi ses catégories et ses formes. Révolutionnaire dans son contenu, elle l'est aussi dans ses formes. Il faudrait demander si cette élégance stylistique d'Aminata Traoré ne reflète pas quelque part le besoin de dire «basta aux mensonges qui n'ont que trop duré, basta aux bienséances» académiques qui perpétuent la confusion et refusent de trancher sur le fond. A lire absolument.
Mais il faudrait pour cela le trouver sur les rayonnages.
Il est temps que les pouvoirs publics mettent en place une politique en direction des éditions africaines qui nous libèrent des passages européens obligés. C'est aussi cela se libérer des tutelles en cette année 2010, année des indépendances africaines.
M. B.


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