La guerre en Afghanistan est sur le point de s'achever, à en croire le président afghan Hamid Karzai et les capitales occidentales qui se sont mis d'accord sur la manière de se réconcilier avec les talibans et de reconstruire le pays. Il a donc été décidé jeudi soir, à l'issue de la Conférence de Londres, la création d'un fonds de 500 millions de dollars pour aider à la réinsertion des militants talibans qui bénéficieront de moyens matériels et financiers pour reprendre une vie normale. Cette aide s'étalera sur une période de cinq ans, période nécessaire pour remettre le contrôle progressif d'une grande partie des provinces du pays aux mains des autorités afghanes. Le président Karzai s'est engagé à atteindre cet objectif dans les délais mais il a affirmé que son pays aura besoin de l'aide internationale pour une période allant de dix à quinze ans. Les capitales occidentales ont, de leur côté, promis d'apporter leur soutien jusqu'à ce que l'Afghanistan puisse compter sur lui-même. Les Etats-Unis et leurs alliés n'ont pas affiché leur disponibilité envers ce pays pauvre de l'Asie du Sud par excès de générosité mais parce qu'ils savent pertinemment qu'il y aura retour sur investissement. Et cette guerre contre la présumée lutte contre la nébuleuse islamistes d'El Qaïda, déclenchée en 2001 après les attentats du 11 septembre, est une partie de cet investissement occidental en Afghanistan. La déclaration, dimanche dernier, de Hamid Karzai, citant une étude américaine, nous permet de mieux comprendre et de saisir la portée d'une invasion militaire d'un pays en guerre depuis plus de trois décennies. Le président afghan a déclaré en fait que le sous-sol de son pays recèle des ressources pétrolières, gazières et minérales estimées à environ un millier de milliards de dollars. Cette déclaration qui intervient au lendemain de la rencontre de Londres est un lapsus révélateur de l'enjeu économique que constitue l'invasion américaine de l'Afghanistan. Car les Etats-Unis ne se soucient pas du bien-être des Afghans qui se sont appauvris davantage avec l'arrivée des soldats étrangers dans leur pays. Pendant neuf ans de présence dans le pays, Washington a donc pris tout le temps nécessaire pour sécuriser les zones abritant les gisements localisés par un institut de géophysique américain. Les Etats-Unis ont aussi pris le soin d'installer un gouvernement afghan qui serait à leurs ordres. Ils ont ainsi trouvé en l'actuel président afghan Hamid Karzai l'idéal serviteur de leurs intérêts. M. Karzai est issu des Pachtouns, l'une des plus importantes communautés du pays, majoritairement installée dans le sud frontalier avec le Baluchistan pakistanais. Les Pachtouns résident aussi dans l'est et le nord-ouest de l'Afghanistan et sont connus pour être des «autonomistes par tradition», selon l'analyste allemand Karl Müller qui a ouvertement dénoncé l'implication de son pays dans cette sale guerre d'occupation. Dans une tribune libre publiée dans Horizons et débats (un journal suisse de défense et de promotion du droit international), l'analyste allemand a expliqué que les Etats-Unis s'étaient préparés à la guerre afghane avant même les fameux attentats contre les Tours jumelles de New York. «Depuis plusieurs années […] la guerre des Etats-Unis contre l'Afghanistan figurait, savamment planifiée, dans les dossiers de la Défense américaine déjà avant le 11 septembre 2001, et que ces planifications entraient justement dans leur phase décisive quelques semaines avant septembre 2001 puisque les derniers pourparlers avec les talibans, au pouvoir à l'époque, venaient d'échouer», a affirmé M. Müller. Les talibans avaient été soutenus, pour rappel, par les Américains entre 1994 et 1996 dans l'espoir de concrétiser le projet de réalisation de l'oléoduc qui suivrait une ligne du Turkménistan à un port situé sur l'océan Indien, en passant par l'Afghanistan, le Pakistan et l'Inde. Cet oléoduc doit partir de la mer Caspienne qui fait l'objet d'une véritable lutte entre la Russie, l'Iran et plusieurs pays de l'Union européenne. Washington a toutefois échoué à convaincre des talibans appartenant à plusieurs tribus pachtounes, pour faire avancer ce projet qui existe déjà depuis l'écroulement de l'ex-Union soviétique. L'URSS avait, elle aussi, tenté le diable en cherchant à coloniser l'Afghanistan (1979-1988) mais elle a échoué contre des Afghans aguerris et au fait du relief montagneux de leur pays. La tentative d'invasion russe et l'occupation américaine de l'Afghanistan ont, toutes les deux, le parfum de la lutte pour l'accaparement de l'énergie fossile. Karl Müller va loin dans son analyse en soutenant à son tour la thèse selon laquelle la réalisation de l'oléoduc en question, et dont les travaux ont repris au deuxième jour de l'arrivée des soldats étrangers en Afghanistan, a mis dans «son contexte géopolitique la rivalité entre la Russie et la Chine sur l'échiquier de l'Asie centrale». La Russie et la Chine ne veulent pa céder le terrain aux Américains en Asie centrale qui constitue le futur eldorado de l'industrie pétrolière mondiale après l'épuisement des gisements, actuellement exploités, des pays du Golfe. La pression internationale contre la République islamique d'Iran fait partie de la stratégie américaine et occidentale pour faire main basse sur cette région. Cela explique le soutien implicite de la Russie et de la Chine à l'Iran concernant son problème nucléaire qui lui a valu de nombreuses sanctions politiques et économiques de la part des puissances occidentales. L'Iran, qui a une ouverture sur la mer caspienne, est considéré comme un acteur important dans cette lutte pour le contrôle des sources d'énergie. Il constitue, autrement dit, un véritable obstacle à la politique américaine dans la région, qu'il faut mettre à genoux, ce qui n'est pas évident dans l'état actuel des choses. Les Etats-Unis et leurs alliés sont plutôt occupés à chercher une solution pour quitter le bourbier afghan en procédant de la même manière qu'en Irak. C'est-à-dire que les forces étrangères cèderont le contrôle du pays à un gouvernement local taillé sur mesure, en promettant de l'argent qui servira à la reconstruction progressive du pays. Mais la corruption qui mine le pays depuis des années risque de compromettre le plan tracé par la Conférence de Londres. Il ne faut pas oublier non plus le cartel de la drogue que la fin de la guerre n'intéresse pas, car l'Afghanistan est parmi les plus gros producteurs de drogue dans la région. Donc, la stabilisation du pays s'avère plus difficile que prévu, comme c'est le cas en Irak qui se retrouve aujourd'hui livré à lui-même et ses richesses pétrolières bradées par les Etats-Unis et les pays les ayant soutenus dans leur invasion. L'intention de se lancer dans une nouvelle guerre au Yémen, sous prétexte de s'attaquer aux présumées bases arrière d'El Qaïda, répond à la même logique ayant contribué à l'occupation de l'Afghanistan et de l'Irak. L'Iran qui dispose d'importants gisements pétrolifères qu'il ne souhaite pas encore exploiter a compris les desseins américains, ce qui explique son alliance secrète avec la Russie et la Chine qui valent leur pesant d'or en matière de politique internationale. L. M.