«Noble métier, ignoble confrère»… Ah ! Ne voilà-t-il pas une bonne réplique de journaliste à un autre journaliste publiée, il y a une douzaine d'années, dans un «très grand» quotidien national d'information. Une réplique aussi qui résume, voire qui résumait imparablement l'état des lieux une dizaine d'années après la promulgation de la loi 90-07 relative à l'information. C'est dire que, si le décor a énormément changé, la richesse des dialogues était partie pour bel et bien durer compte tenu de règlements de comptes fréquents, par titres interposés, entre confrères et qui feraient passer celui de O.K. Corral pour une prise de bec entre chérubins dans un jardin d'enfants. Seulement voilà, depuis quelques jours, dans le cadre d'une manifestation ad hoc autour de l'éthique et de la déontologie dans la presse a émergé cette belle envolée lyrique d'une représentante de l'Union européenne : «Le respect des libertés, celle de la presse en particulier, est un élément essentiel de la démocratie.» Une litote, certes, mais tellement sublime qu'elle mériterait d'être gravée dans le marbre… rien que pour le déplacement et la beauté du propos d'une hôte à laquelle il relèverait, règle d'hospitalité oblige, de l'attitude du parfait butor de rappeler un air de déjà… entendu, lu et… hypocritement approuvé. Bien évidemment, «les machins», comme dirait l'autre, qui ont prodigué orientations et conseils utiles et en ont profité dans la foulée pour distribuer mauvais et bons points aux journalistes algériens en n'omettant pas de souligner que la presse nationale est victime de «sa jeunesse», une précocité qui, paradoxalement, se trouverait être aussi son talon d'Achille, qui lui ferait faire beaucoup d'erreurs en raison de «l'absence d'une formation et de moyens adéquats et de professionnalisme». Et dire que, depuis vingt années, dans le pays, tout le monde ignorait cela. Ah… merci… Y a bon… Banania. Des moments intenses ont, vraisemblablement, baigné cette rencontre compte tenu de l'inclination de participants à aller à confesse et déclarer comme «prématurée… une coquetterie de journalistes…» ou encore «mis la charrue avant les bœufs…» et, enfin, le summum, «nous avons pensé à tout sauf aux questions essentielles», l'idée même d'avoir créé un conseil d'éthique et de déontologie. Sinon d'appeler à l'indulgence de ceux qui n'ont rien à voir avec le métier pour en avoir (indulgence) à l'endroit du professionnel pour lequel il est difficile de «respecter l'éthique et la déontologie…» dès lors qu'il vit «une situation socioprofessionnelle déplorable». Mais voilà, il suffisait juste de le dire. Donc d'autorité… une autorité virtuelle du potentiel contrevenant qu'il est, rend possible pour un journaliste la faculté de s'asseoir sur l'éthique et la déontologie dès lors que le journal qui l'emploie oublie de lui verser un salaire, de lui assurer une couverture sociale, un plan de carrière, une protection contre les autres aléas (et ils sont légion) du métier. Et, ironie du sort, il n'est pas exagéré d'affirmer que 50% de nos confrères vivent ce drame. Effectivement ! Bien des quotidiens qui évoquent en «une racoleuse» à souhait la situation de milliers de travailleurs qui ne sont pas payés par des entreprises publiques en difficulté…» et dénoncent «l'autisme des pouvoirs publics sur la question» stipendient «l'UGTA et sa connivence avec le gouvernement…» ne paient pas, en fait, les journalistes qui rapportent ces informations. Mais cette éthique et cette déontologie foulées aux pieds par des journaux qui se veulent hérauts de la morale, chantres de l'information, aussi indépendants que l'aura été dans la mythologie grecque Cerbère aux enfers ne se limitent pas toutefois à la seule situation socioprofessionnelle de leurs journalistes. Elles sont aussi et surtout écorchées par la nature de réputées investigations à l'origine d'informations spectaculaires, souvent relais de campagne de désinformation à l'étranger, et qui ne sont en réalité que des dossiers savamment ficelés, produits par divers clans qui en organisent la fuite et qu'en fin de parcours un commis aux écritures vulgarise par une signature. Concluons enfin que nos deux confrères évoqués tout au début s'étaient mutuellement accusés de «supplétif au service d'une puissance politique» pour l'un et d'«affidé à celui d'une puissance d'argent». Difficile quand même de faire la différence. La morale dans toute cette affaire : il n'y en a pas… A. L.