C'est au niveau du travail de proximité que la stratégie du développement rural révèle toute son importance. Une Peugeot 404, un gourbi en toub (briques en terre cuite ) d'ou sort un filet de fumée en cette journée brumeuse de décembre et le chant du coq sont les seuls signes de vie dans cette mechta de Guellif, commune de Aïn Zitoun dans la wilaya de Oum El Bouaghi. La mechta est collée au pied d'une montagne dénudée. Pas d'arbres, pas d'arbustes. Que des grès de l'Atlas saharien à perte de vue, témoins d'une érosion agressive. Ainsi façonné, le paysage décourage le plus téméraire des citadins qui viendrait frotter la beauté architecturale de la ville à la rudesse naturelle des ces contrées. Mais que vient faire un ministre de la République dans cette contrée isolée, loin des salons feutrés d'Alger? La délégation ministérielle qui accompagne le Dr Rachid Benaïssa, ministre délégué chargé du Développement rural, extrait de sa platitude quotidienne cette mechta impitoyablement givrée par les basses températures qui caractérisent cette wilaya de la partie est des Hauts- Plateaux. Benaïssa n'en est pas à sa première sortie de ce genre. Il s'est rendu dans plusieurs centaines d'endroits isolés du pays. De Naâma et Aïn Sefra il y a quinze jours, il a visité Oum El Bouaghi et Khenchela la semaine dernière et il se rendra à Mila cette semaine. Le message qu'il distille est le même: «Djina n'rafgoukoum (Nous sommes venus vous accompagner)». En termes plus explicites, le temps de l'assistanat est terminé. «C'est l'appropriation des projets c'est un accompagnement et non de l'assistanat.» La première halte de cette virée chez les Chaouis a été la wilaya de Oum El Bouaghi où plus de 156 Ppdr (projets de développement rural de proximité) ont été lancés dans les différentes régions de cette wilaya. Les projets lancés feront bénéficier environ 15 308 familles et permettront la création de quelque 12.470 emplois. Intéressés, presque séduits par le projet que vient leur proposer le ministre, le Ppdr adoucit ainsi les Chaouis. Fiers de leur passé en se mobilisant contre l'envahisseur français avec lequel ils ont croisé le fer avec bravoure. ils ont donné du fil à retordre à ces «envahisseurs» armés venus d'ailleurs au nom d'une prétendue mission civilisatrice. Les jeunes Chaouis se sentent aujourd'hui isolés et ignorés par le pouvoir central mais toujours rebelles et nationalistes si vous évoquez l'Algérie. C'est à ce niveau que l'approche pédagogique et prospective de Benaïssa prend toute son importance. Car à quel prix peut-on racheter le rétablissement de la confiance entre les autorités et le citoyen si ce n'est par celui de la proximité? Combien coûte le comblement du fossé qui sépare les autorités des décideurs? Combien coûtera le fait d'effacer le mot «mahgourine» du jargon de ces citoyens qui vivent en milieu rural où l'information circule moins bien que dans les grandes agglomérations. L'oeil vif et l'oreille tendue, le ministre écoute passionnément les doléances de ses hôtes, les Chaouis. «Il faut parler le langage des ruraux», affirme le ministre «et quand on parle le même langage, le reste est facile» insiste-t-il. Pour le Dr Benaïssa, tout est dans la manière de poser la problématique. «D'abord il faut parler le langage rural. Ensuite, chaque région a ses compétences. Il faut s'interroger si les habitants de ces milieux sont conscients des compétences qu'ils ont à leur niveau. Il y a donc un problème de fond plus important que l'argent , c'est le travail de proximité, d'où la nécessité de dialoguer et de s'écouter.» Il apostrophe, rappelle, souligne et précise à chacune de ses interventions devant les citoyens et même devant les responsables locaux qu'il ne s'agit pas de distribuer de l'argent et des projets: «Il s'agit d'accompagner des gens qui veulent travailler de façon réfléchie.» Il y a un budget, il y a une stratégie, des responsabilités à différents niveaux et des compétences. Le message du ministre est que la vision doit évoluer en fonction de l'évolution de ces milieux. 70% de la population rurale est jeune, 58% activent dans le secteur de l'agriculture et 39% dans les services. Ce qui signifie qu'on ne doit pas regarder ces espaces uniquement et simplement sous l'angle de l'agriculture. Ce sont des espaces ruraux qui doivent être rentabilisés de manière efficace. Le coup de tête chaoui L'Aurès, cette région de paradoxes et de contrastes dans le relief, le climat, l'habitat et les caractères de ses habitants. Un élément cependant y est constant: la témérité doublée de nationalisme. Mais il y a aussi le froid. Nul ne peut traverser la région sans en faire l'expérience. Ce froid qui touche à l'os qui fait sécher les lèvres jusqu'à l'éclatement. Il y a aussi la chaleur qui assèche et assoiffe l'été. Telles sont les conditions contre lesquelles le Chaoui lutte inlassablement en toute saison souvent sur une terre ingrate. En dépit de cela, l'homme est calme, distant, austère et rigide. Le Chaoui est souvent discret, peu démonstratif mais il est connu pour ses coups de tête. Buté jusqu'à l'extrême, le Chaoui est volontiers ironique, moqueur, railleur. Le ministre délégué au Développement rural qui a été l'hôte de ces Berbères a prononcé cette petite phrase: «La meilleure malice est de ne pas en avoir». Et les Chaouis n'ont pas de malice mais toujours animés de défi par goût et par tempérament. Oum El Bouaghi n'est séparée de Khenchela que par quelques Prdr. Khenchela a été la seconde halte du périple de Benaïssa. C'est la quatrième visite qu'il effectue dans cette wilaya, curieusement convoitée par les ministres. Neuf membres du gouvernement ont visité cette région pourtant réputée comme l'une des plus pauvres du pays. Connue du temps des Romains sous le nom de Musculla, occupée ensuite et tour à tour par les Vandales et les Byzantins, la ville de Khenchela, qui abrite (dans la commune de Beghaïa à 6 km du chef-lieu ) le château bâti par la reine berbère Dihya surnommée par les Arabes El-Kahina, mentionné par Ibn Khaldoun dans ses écrits, est le berceau des tribus berbères notamment les Hrakta et Nememcha. Elle possède plusieurs sites historiques et monuments. En plus du palais de la Kahina, il y a le djebel Chélia (2 328m), les stations thermales de Hammam Salihine et Hammam K'nif. Parmi les particularités de cette ville, il y a sa situation géographique. Elle appartient à la fois à la région des Hauts-Plateaux et au Sahara. Parole de ministre Classée parmi les régions est des Hauts-Plateaux, cette wilaya est traversée dans sa partie sud par l'accident sud- atlasique appelé l'ASA dans le jargon géologique. L'ASA est une faille géante qui sépare l'Atlas saharien de la plate-forme saharienne (le grand désert). Cet accident continental prend naissance à Bouazer au Maroc, traverse l'Algérie (Biskra) et se termine à Gabès. Khenchela regroupe 350 mechtas. Elle est majoritairement dominée par deux grandes tribus berbères, localement appelées les archs. alors que l'influence des Nememcha s'étale du sud de la wilaya jusqu'à Bir El Ater à Tébessa et les Amamara sont très influents au nord de la wilaya. Khenchela bénéficie elle aussi de Ppdr. Les autorités locales ont validé 76 projets et quelque 20 communes parmi sept daïras ont été ciblées par ces projets. Le ministre tient le même langage. Inlassable, il explique avec la même rigueur son projet. Première phase: travail pédagogique et d'explication. Deuxième phase: travail d'approfondissement (expliquer, écouter et dire à ces populations qui se sentent exclues et isolées que l'Etat est à leur écoute). Troisième phase: application des projets proposés et amélioration de la conception de l'aide étatique. Le travail est de longue haleine. La stratégie est prometteuse. Elle vise des millions de personnes. Seulement, le ministre délégué chargé du Dévelop-pement rural a-t-il les moyens de sa politique? entendre les moyens politiques...