Photo : Riad De notre correspondant à Annaba Mohamed Rahmani Vraisemblablement les choses ne s'arrangent pas au niveau du complexe sidérurgique ArcelorMittal Annaba et l'on s'achemine, sauf revirement de dernière minute, vers une grève générale illimitée dont le début est prévu aujourd'hui à 5h du matin. C'est ce qui ressort des différents chassés-croisés aussi bien des responsables de la direction que des syndicalistes, qu'ils soient locaux ou ceux dépêchés expressément par la Centrale UGTA. En effet, la semaine écoulée a vu les protagonistes du conflit user, chacun de son côté, des moyens à leur disposition pour exercer des pressions sur l'autre et l'amener ainsi à changer de position. Côté syndicat d'entreprise avec à sa tête son secrétaire général Smain Kouadria, on refuse de faire marche arrière et l'on rend public un communiqué dans lequel on appelle à une grève générale illimitée à partir d'aujourd'hui, soutenu dans cette démarche par une grande partie des 6 200 travailleurs des 32 unités et ateliers répartis à travers le territoire national. «La plateforme de revendications doit être entièrement satisfaite, avait martelé Smaïn Kouadria, lors de l'assemblée générale tenue le jeudi 10 juin, la convention des branche signée par la tripartite doit être appliquée et la direction refuse toujours de le faire.» Mercredi dernier, l'arrivée à Annaba de deux hauts responsables de l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA), M.M Rachid Ait Ali et Tlili, respectivement chef de cabinet de Madjid Sidi Saïd, patron de l'organisation syndicale et secrétaire national chargé des conflits, montre que le conflit opposant les deux parties risque de perdurer et pourrait glisser vers un pourrissement qui n'est dans l'intérêt de personne. Le wali qui a reçu les deux responsables dès leur arrivée avait insisté auprès de ces derniers pour qu'ils fassent tout afin d'éviter la grève qui peut faire beaucoup de mal à l'économie locale, mettant en avant les intérêts de toute la région compte tenu du nombre d'opérateurs économiques liés directement ou indirectement au complexe. Dimanche dernier, les négociations ont repris entre les représentants syndicaux et la direction pour essayer de trouver un terrain d'entente afin de sortir de cette nouvelle crise qui secoue l'usine. La réunion qui a duré près de 8 heures n'a rien donné et les deux parties campent sur leurs positions, chacune affirmant être dans son bon droit. Côté employeur, le 16 juin dernier, Vincent Legouic a été reçu au ministère de l'Industrie et de la Promotion des investissements où il aurait eu une entrevue avec le ministre, Mohamed Benmeradi, pour discuter officiellement du plan d'investissement 2011/2014, y compris du problème de la cokerie à l'arrêt depuis plus de 6 mois. Selon nos informations la crise qui secoue le complexe a été évoquée, cependant rien n'a filtré sur la teneur de ces discussions. Ce qui est sûr c'est qu'au lendemain de son retour, le premier responsable du complexe a rencontré les syndicalistes pour un nouveau round de négociations. Le mardi 8 juin, M. Legouic avait adressé une lettre aux salariés dont le ton, pédagogique, en appelle au bon sens des travailleurs tout en mettant en avant les progrès réalisés, mettant l'accent sur les effets catastrophiques sur la société, en cas de grève. «Je vous écris aujourd'hui, car la situation de notre entreprise peut devenir catastrophique malgré les progrès enregistrés depuis juin 2009.» Cette phrase qui amorce cette lettre sous-entend que si un mouvement de grève est lancé, la situation générale de l'entreprise empirerait et les conséquences en seraient incalculables. S'attardant dans un premier temps sur les progrès réalisés, le rédacteur de la lettre rappelle qu'en matière de sécurité, une baisse du taux de fréquence des accidents a été enregistrée, passant de 6,5 à 3%, la production a augmenté, passant de 487 000 tonnes à 714 000 tonnes et la productivité s'est nettement améliorée puisque l'on a enregistré un bond significatif, la faisant passer de 75 tonnes par personne et par an à 118 tonnes, les salaires ont augmenté de 25% et seront encore relevés de 5% en juillet 2010. Rappelant les engagements pris par la direction générale, le premier responsable du complexe et signataire de la lettre a insisté sur le fait que ceux-ci ont tous été respectés, malgré les difficultés rencontrées, allant jusqu'à les énumérer : le maintien des 320 cokiers malgré la fermeture de la cokerie, les 450 tubistes affectés à la tuberie dont la charge est nulle sont toujours au complexe et les ouvriers mis à disposition seront intégrés dans ArcelorMittal dès que les conditions le permettront. «Nous l'avons dit, nous l'avons fait.» Cette phrase revient comme un leitmotiv pour rappeler aux salariés que la direction n'a, à aucun moment, failli à ces engagements pour ensuite orienter le texte sur les effets désastreux et catastrophiques de la grève précédente qui avait paralysé l'usine pendant près de 9 jours. «La grève nous a coûté 6 millions de dollars (45 milliards de centimes), nous avons perdu 36 000 tonnes de production. Un nouvel arrêt du haut fourneau pourrait être catastrophique», est-il rapporté dans la lettre. Ceci pour bien faire comprendre aux salariés qu'une nouvelle grève menacerait le devenir même du complexe et pourrait amener des mesures extrêmes et douloureuses pour tous. La lettre en question qui a provoqué l'ire du syndicat au vu de la réaction d'une bonne partie des travailleurs a en quelque sorte amené les salariés à réfléchir sans toutefois qu'ils rangent du côté de la direction ; le syndicat ayant su maîtriser ses troupes. Puis est venu le bulletin «spécial» dans lequel la direction soutien que la grève est illégale puisque le syndicat n'a pas en sa possession le P-V de non-conciliation qui devrait être délivré par l'Inspection de travail. Autre point sur lequel la direction table pour arrêter le mouvement : le nombre des présents à l'Assemblée Générale, tenue le 10 juin dernier, n'est pas représentatif. Selon elle, il n'y aurait eu que 800 travailleurs effectivement présents et le vote, pour ou contre la grève, est nul dans la mesure où celui-ci aurait dû se faire à bulletins secrets et non à main levée. Cette dernière observation a été balayée par le syndicat qui soutient qu'un huissier de justice a assisté à ladite assemblée et que celui-ci affirme que les présents étaient au nombre de 4 800. Cette guéguerre sur des points de détail ne règle pas la crise et le débat est faussé, la question de fond est que ce conflit ne trouve pas encore d'issue et risque de perdurer, avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir sur le complexe et la région de Annaba et ses environs.