Entretien réalisé par Samira Imadalou LA TRIBUNE : Quelle lecture faites-vous des dernières mesures prises par le gouvernement pour faire baisser les prix de l'huile et du sucre ? M. Bachir Messatifa : Ce sont des mesures qui visent à calmer le front social. Elles visent également à rassurer les opérateurs du marché de gros quant à la garantie de leurs bénéfices même avec le plafonnement des prix décidé par le gouvernement à travers le ministère du Commerce. Concéder 41% des taxes sur la commercialisation du sucre et de l'huile signifie que le gouvernement a répondu avec rapidité aux effets de la hausse du prix du sucre sous la menace du facteur surprise qui a perturbé les cercles de la décision économique en Algérie. Cela traduit l'intention du gouvernement de freiner tout facteur de nature à soulever le front social. Il faut rappeler que ces mesures, très significatives avec le taux de réduction des taxes, seront efficaces pour influer sur les prix. C'est ce qui s'est passé réellement. Ces mesures portent néanmoins un caractère d'exception et d'illégalité du point de vue législatif puisqu'elles ne sont pas inscrites dans la loi de finances, qui définit constitutionnellement les taxes et les impôts. C'est pour cette raison que le conseil interministériel a indiqué qu'il s'agit de mesures provisoires en attendant de les intégrer dans la loi de finances complémentaire au mois d'août prochain. Et il se pourrait que cette mesure de réduction des taxes qui a touché les deux produits soit généralisée à d'autres produits alimentaires. L'impact sera-t-il important sur le terrain ? Oui. L'impact sera immédiat et important compte tenu du pourcentage de réduction des taxes qui est de 41%. L'impact sera, cependant, au détriment des recettes de la fiscalité ordinaire. Même le report de la facturation au mois de mars permettra aux commerçants d'engranger davantage d'évasion fiscale. Ce qui augmentera les pertes du Trésor. Car les commerçants vont procéder dans cette période au stockage stratégique des produits de première nécessité. Donc, ils augmenteront leurs chiffres d'affaires dans le marché informel. Ces mesures techniques sont conjoncturelles. A votre avis, que faudrait-il réellement pour organiser le secteur commercial ? Premièrement, il faut revoir les mécanismes de légalisation du marché parallèle en annonçant des exonérations fiscales pour ceux qui respectent la facturation et les opérations par chèque. Il faudrait revoir les outils de contrôle des marchés en renforçant les moyens logistiques et humains afin de casser le monopole, réserver une partie des taxes et impôts sur le commerce pour améliorer le climat des activités commerciales et les services offerts aux commerçants.Il est peut-être temps de revoir le système de la fiscalité ordinaire dans un pays où le poids de la fiscalité pétrolière est très fort. Ceci dans la perspective de réduire l'impôt sur le bénéfice des sociétés (IBS) et la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Le système productif est en panne, quelles sont les solutions que vous préconisez pour diminuer la dépendance vis-à-vis des importations ? Mettre en place un nouveau modèle d'investissement sous la règle «un investissement à zéro obstacle». C'est-à-dire annuler toutes les contraintes devant l'investissement productif, notamment dans les produits stratégiques comme les produits alimentaires. Ce modèle compte de fortes incitations dans le foncier, la fiscalité, les crédits bancaires, le soutien du gouvernement, les droits douaniers, ainsi qu'une priorité pour le produit local dans la chaîne de distribution et les marchés de gros. Chaque fois que les bénéfices augmentent dans l'industrie du raffinage et du traitement dans le pays, les opérateurs économiques se tournent vers la production au lieu de recourir à l'importation. D'un autre côté, l'encouragement du partenariat avec les investisseurs étrangers dans les filières stratégies est important et nécessaire. Il y a lieu aussi de prendre en considération les recommandations des experts concernant les principes de base et les moyens d'assurer la sécurité alimentaire. Je veux dire par là encourager les recherches dans le domaine agricole et dans la production des engrais et des semences. Comment voyez-vous le marché mondial des matières premières alimentaires à moyen terme ? Il y a une tendance globale à la hausse des prix sur le marché international et dans les Bourses des matières premières alimentaires. Et ce, pour diverses raisons. Je citerai l'augmentation de la demande chinoise au cours de ces dix dernières années. Les importations de la Chine en produits alimentaires ont augmenté, durant cette période, de 500%. Il y a en parallèle la baisse de l'offre en raison des conséquences des changements climatiques sur l'agriculture ; le recours aux matières premières alimentaires comme le maïs et le soja pour la production des biocarburants. Enfin, je dirai que les baisses successives du dollar face à l'euro, l'approvisionnement du Trésor américain et le développement de la concurrence des exportations américaines rendent les importations en dollars plus chères, particulièrement pour un pays comme l'Algérie dont les échanges avec la zone euro représente 55% de ceux avec le reste du monde.