La situation s'embrase de plus en plus en Côte d'Ivoire. Les forces fidèles au président sortant Laurent Gbagbo ont intensifié leurs attaques sur Abobo, l'un des quartiers d'Abidjan où Alassane Ouattara, président selon la communauté internationale, dispose d'un grand soutien populaire. Des sources affirment que, dans la nuit de samedi à dimanche, les Forces de défense et de sécurité (FDS, proches de Gbagbo) ont de nouveau frappé dans ce quartier, certains parlant même de «tuerie sauvage» de «civils innocents». En effet, une dizaine de civils au moins a trouvé la mort lors de cette attaque, rapportent les médias, citant plusieurs témoins. Un militant des droits de l'Homme a affirmé : «On voit toutes formes de tuerie […] C'est l'horreur qu'on est en train de vivre ici. Des gens [sont] brûlés vifs ou découpés en morceaux à la machette…» Le nombre des victimes augmente Depuis la mi-décembre, pas moins de quatre cents personnes ont été tuées, en majorité des civils, dont des femmes. Les victimes appartiennent aux deux camps, mais c'est du côté de celui de M. Ouattara que le nombre de morts reste le plus élevé. Laurent Gbagbo contrôle le FDS avec des miliciens hyper-équipés en armes et munitions. Cela dit, M. Ouattara dispose aussi du soutien des ex-rebelles des Forces nouvelles (FN) de Guillaume Soro, l'ancien Premier ministre de Gbagbo. Les Forces nouvelles contrôlent surtout la partie ouest de la Côte d'Ivoire et ont décidé de reprendre les armes pour défendre Alassane Ouattara qu'elles considèrent comme le président légitime du pays. Mais c'est parce que le camp Gbagbo a décidé d'user de la violence que les éléments du FN sont entrés en action, semblent-ils expliquer, puisqu'ils se limitent à protéger la population civile contre les descentes ciblées du FDS. Cette semaine, le FDS a tenté de reprendre le contrôle des quartiers favorables à Alassane Ouattara, parti pour Addis-Abeba où il a été reconnu officiellement comme nouveau chef d'Etat de la Côte d'Ivoire par l'Union africaine. Une telle reconnaissance n'a fait que radicaliser les troupes du FDS qui ont multiplié leurs raids à Abidjan comme dans le reste des autres villes du pays. Cette «offensive du désespoir» du camp de Laurent Gbagbo, comme la qualifie les partisans d'Alassane Ouattara, montre à quel point les éléments du FDS pourraient aller dans la violance. Des observateurs semblent toutefois penser que la situation n'a pas encore atteint le point de non-retour. Autrement dit, alors que les civils continuent à se faire tuer par les troupes armées des deux clans, les analystes n'osent pas encore parler de guerre civile. Outre le nombre de tués en augmentation constante, on a aussi tendance à oublier ces milliers de déplacés dont cent mille, au moins, auraient déjà franchi la frontière du Liberia voisin. Les humanitaires complètement dépassés Les missions humanitaires de l'Organisation des nations unies sont en place pour prendre en charge cette population, mais sont complètement dépassées par l'impressionnant flux migratoire de civils fuyant la violence. L'option d'une intervention militaire étrangère est-elle donc toujours envisageable, d'autant que Laurent Gbagbo a ouvertement affiché sa volonté de ne pas négocier avec Alassane Ouattara ? La communauté internationale a mobilisé les moyens diplomatiques pour convaincre le président sortant de partir sans encombre, d'organiser une nouvelle élection ou partager le pouvoir avec son adversaire. Mais toutes ces tentatives se sont soldées par un cuisant échec, ouvrant la voie à toutes les incertitudes, dans un pays qui essaye depuis des décennies de sortir de son instabilité politique. Le mauvais souvenir de l'intervention de la mission Licorne (forces de maintien de la paix française à Abidjan), en 2004, est toujours dans l'esprit des ivoiriens. En novembre 2004, des soldats ont tiré sur des manifestants ivoiriens hostiles à la présence militaire française dans leurs pays. Bilan de ces tirs : une soixantaine de morts et plus d'un millier de blessés parmi les manifestants. Ce qui a accentué le sentiment de rejet envers toute présence militaire étrangère dans le pays. Aujourd'hui, la crise politico-militaire, qui a débuté en septembre 2002, a atteint une étape plus que préoccupante. Alassane Ouattara est reconnu comme le vainqueur de la présidentielle du 28 novembre 2010, mais son rival Laurent Gbagbo, président sortant, ne veut pas quitter le pouvoir qu'il occupe depuis dix ans. La communauté internationale, ou plus clairement l'Onu et l'Union africaine, est appelée à réagir à cette situation tout en évitant au pays de s'enfoncer davantage dans la crise et de sombrer dans une guerre civile. Une intervention militaire se présente comme le dernier recours pour désamorcer cette bombe dont les méfaits ne se limiteraient pas à la seule Côte d'Ivoire, car, dans un continent aussi instable que l'Afrique, l'instabilité d'un pays signifie l'instabilité de tous les pays voisins. L. M.