De notre correspondant à Paris Azeddine Lateb Organisé par l'association “Bâtisseuses de paix”, une association de femmes arabes, juives et musulmanes, le restaurant Casa Rina a abrité dimanche soir dernier un débat autour de ce précieux pan d'histoire et de mémoire souvent rejeté dans la poussière de l'oubli, et ce, avec l'apport capital de trois orateurs de talent, à savoir Alice Cherki, psychanalyste, Benjamin Stora, historien et Nabile Fares, psychanalyste et écrivain. De prime abord, la présidente de l'association, Annie-Paule Dercsansky, explique les raisons qui ont poussé ces femmes à s'associer en 2004 et en quoi consiste leurs actions aujourd'hui. «Eviter de transférer le conflit israélo-palestinien en France et renouer à un dialogue avec des bases communes», dit-elle. En égrenant de multiples exemples de dialogue, l'auteur de Portrait de Frantz Fanon raconte volontiers sa propre expérience de juive en Algérie. Elle dira qu'«avec cette proximité antérieure entre juifs et musulmans», citant le livre de Daniel Temsilt, Récit anachronique, «les juifs et les musulmans étaient différents, mais pas séparés». Elle citera également l'ouvrage de Leila C'était leur France qui retrace des trajectoires différentes d'«écrivains qui racontent leur France dans l'Algérie de leur enfance et de leur adolescence». L'oratrice dira que ce travail est un «tissage d'une Algérie tuée et pas oubliée». De son côté, l'historien Benjamin Stora poursuit la réflexion d'Alice Cherki en se référant à un certain nombre de questions. Il brosse ainsi un tableau historique sur les différentes étapes importantes dans la mémoire juive algérienne, et dira que le dialogue passe en France par l'Algérie. Car les juifs d'Algérie ont préféré venir en France plutôt que partir au Moyen-Orient, contrairement aux juifs de Tunisie et du Maroc. Il passa au crible le décret Crémieux et certains coins d'ombre de cette histoire mise sous le joug de la falsification. Il dira que la réinvention, c'est de reconstruire un conflit continuel. Il parla aussi du rapport à la perte de la nationalité. Nabile Fares, quant à lui, fera part de son expérience de psychanalyste et d'écrivain et parle de ce qui travaille du côté des traces. Il dira que les sculptures, les sons, la musique, les sépultures et le paysage sont autant d'exemples où la trace est imprimée. «Je suis entré en histoire par l'écriture», dira l'auteur des Champs d'olivier. Il accentuera le propos sur le politique qui, quand il est atteint, conduit à la déliquescence (voir Réflexion de Nabile Fares dans la Tribune, l'antisémitisme, le mot et… le nom (21/8/2008)). Après le débat, Gérard Haddad, psychanalyste, fera un décroché des juifs de Tunisie. Il témoignera de cet attachement viscéral des juifs qui viennent visiter le pays. Il citera notamment un certain nombre d'écrivains français qui ont visité la Tunisie, Dumas, Chateaubriand, Flaubert et, en citant Maupassant, il dira que ce dernier appelait Tunis ville juive. C'est dire la profondeur de lien que les érosions ont longtemps travaillé. Si la coexistence a subsisté et maintenu un dialogue fraternel, il est nécessaire de dépoussiérer ce maudit livre d'histoire et cessé de feindre et le martyr et la victime. Car, étant donné ce qui se passe au Moyen-Orient, l'urgent sera de sauver la vie et de mettre fin à cette surenchère médiatique diabolisant les uns et glorifiant les autres.