Des protestations pacifiques de mars dernier aux attentats à la voiture piégée des ces derniers vendredi, la Syrie a fait un nouveau saut dans l'inconnu. De la demande de réformes politiques réclamées par les manifestants de Draa, berceau de la contestation, aux attentats de Damas, réclamant un départ du régime même au prix de milliers de morts, le pays semble ne plus connaître le moyen de sortir de l'abîme de la violence. L'escalade de part et d'autre fait craindre aux voisins de la Syrie une guerre à leurs portes. La Turquie, qui avait été la première a haussé le ton, appelle les opposants aujourd'hui à plus de raison. La communauté internationale, tétanisée, ne cache pas son courroux ni sa désapprobation de ce qui se passe en Syrie depuis le mois de mars 2011. Elle reste, cependant, pieds et mains liés. Aucun projet de résolution condamnant le régime syrien n'a pu être soumis au conseil de sécurité de l'ONU. La Russie, alliée stratégique de la Syrie, s'est farouchement opposée à toute entreprise qui se limiterait à la condamnation du régime d'Al Assad. La seule concession faite par Moscou. C'est de proposer un texte condamnant, au même titre, les deux parties. Une concession qui n'agrée pas ses vis-à-vis au Conseil de sécurité. La ligue arabe: une mission au-delà de ses capacités ? Jamais la Ligue arabe n'a joué autant sa crédibilité. En proposant un plan de sortie de crise et en voulant jouer à l'intermédiaire entre le régime d'Al Assad et l'opposition syrienne, l'organisation panarabe s'est mise sous les feux de la rampe. Les yeux du monde restent braqués sur les rapports et les conclusions de la ligue. Or, cette mission, la première de la sorte pour la Ligue arabe, se révèle être une réelle épreuve. The National qui appelle les observateurs à reconnaître la «gravité de leur mission», souligne que «toute action contre le régime syrien dépendra des conclusions de leur enquête». La manière dont celle-ci sera menée permettra ou pas «d'empêcher d'autres bains de sang». Si elle échoue, cela renforcera «la division du pays» et la «résistance armée». Cette mission, écrit-on encore, sera aussi l'occasion de tester la capacité de cette institution de «changer de rôle dans la région». L'organisation panarabe qui traîne le boulet de son échec face à la question palestinienne, veut, du moins dans le discours officiel, éviter à la Syrie un scénario à la libyenne. C'est pourquoi le premier rapport sanctionnant la mission des observateurs recommande la poursuite et le renforcement de leur mission aussi bien que l'arrêt immédiat des violences. Le comité ministériel de la Ligue en charge du dossier a décidé de «donner aux observateurs le temps nécessaire pour poursuivre leur mission conformément au protocole», après avoir examiné le premier rapport du chef des observateurs, le général soudanais Mohammed Ahmed Moustapha al-Dabi. Sur ce dernier plane déjà une suspicion qui entacherait sa crédibilité et son éligibilité à remplir la tâche qui lui a été confiée. Certains médias, notamment occidentaux, affirment que c'est à lui qu'avait incombé la formation de «milices arabes responsables des crimes contre les civils au Darfour». Deux semaines après leur arrivée sur le sol syrien, les observateurs de la ligue arabe ne semblent pas changer la donne pour le régime qui maintient le cap de la répression.
L'opposition divisée L'opposition syrienne n'a pas de position tranchée sur la solution de ce conflit qui déchire le pays. Entre l'opposition de l'intérieur et celle de l'extérieur, il y a deux perceptions aussi différentes les unes que les autres. Si les opposants extramuros ont pignon sur rue, ceux de l'intérieur n'arrivent pas à se faire entendre. L'approche de l'opposition de l'intérieur pourrait, à juste titre, être considérée comme réellement antinomique à celle de l'opposition de l'extérieur. Penchant vers des solutions pacifiques dans le cadre des réformes en cours dans le pays, les politiques syriens conviennent que les tergiversations dans la mise en œuvre des engagements issus du processus de dialogue ne feront que prolonger la crise et compliquer davantage la situation. Selon certains opposants, les tergiversations qui entourent le processus de réformes en Syrie sont le fait de «l'aile dure» du pouvoir qui mise sur la «solution sécuritaire» mais aussi d' «extrémistes» qui refusent le dialogue et appellent à «renverser le régime par la force». Une thèse soutenue par des politiques partisans du pouvoir ce qui révèle l'existence de conflits au sein de ce dernier. D'où leur penchant pour un dialogue et une lutte pacifique pour faire aboutir les revendications des syriens. L'opposition de l'extérieur, quant à elle, n'a plus qu'une seule et unique revendication : le départ de Bachar al Assad. Pour cela, elle est prête à s'allier même avec le diable. Aussi, ils n'hésitent plus à demander une intervention étrangère. ONU, OTAN ou tout autre organisme, pourvu que le régime d'Al Assad soit chassé. En entrevue à Al-Jazira, Bourhan Ghaliou a déclaré que le Conseil de sécurité des Nations unies pourrait être appelé à agir, si le régime de Bachar Al Assad ne respectait pas ses engagements. Certains activistes craignent, aujourd'hui, que le pays bascule dans une guerre civile advenant un échec de la mission de la Ligue arabe.
Un régime aveugle La répression du régime syrien, ébranlée par une révolte depuis la mi-mars, aurait déjà coûté la vie à au moins 5000 Syriens. Un réel bain de sang que refuse de voir le régime d'Al Assad. Pourtant, ce jeune président avait toutes les chances et tous les atouts pour mener doucement le processus des réformes dans son pays. Arrivé au pouvoir après le décès de son père en 2000, Bachar al Assad avait séduit les Syriens avec son discours réformateur. On pensait alors que l'ère de Bachar serait différente de celle de son défunt père. L'illusion reste entière jusqu'à son discours d'avril 2011. Bachar Al Assad, tout comme ceux qui l'entourent, semble être sourd et aveugle. Ils sont visiblement hermétiquement fermés à tout ce qui n'émane pas de leurs laboratoires. Le jeune président qui a séduit même les médias américains par ses interviews pertinentes et sa perception des donnes géopolitiques dans la région, a déçu les Syriens et tous ceux qui croyaient qu'il pouvait tirer, intelligemment, son épingle du jeu. Bachar al Assad, comme tout le régime, qu'il incarne n'a pas profité des expériences tunisiennes et égyptiennes. Lui, à qui l'on ne demandait que des réformes politiques, a rapidement usé d'une répression féroce. Les manifestations rituelles de chaque vendredi se sont vite transformées en bain de sang. La désillusion est grande. Les revendications atteignent le seuil logique. Le président syrien doit partir. Bachar al Assad a raté son rendez-vous avec l'histoire. Celle-ci ne retiendra probablement de lui que sa répression. Les Syriens sauront-ils s'épargner la guerre civile qui se profile à leur horizon sombre ? Rien n'est moins sûr. G. H.