Il y a quelques semaines, le ministre français des Affaires étrangères, M. Alain Juppé, exprimait le souhait de voir le cinquantième anniversaire de l'indépendance de l'Algérie célébré ou commémoré en France «avec modération». Le chef de la diplomatie française n'a cependant pas explicité le contenu de sa «modération» et comment celle-ci pourrait être prise en considération par les organisations et associations qui ont déjà commencé à appliquer les programmes qu'elles ont élaborés pour marquer la fin du colonialisme en Algérie. Mais peut être fallait-il, avant d'évoquer toute «modération», souhaiter que les manifestations se déroulent en toute liberté, sans censure, sans monopole de la vérité historique, sans violence. Car exclure ces préalables fondamentaux c'est ne pas faire cas du poids de l'histoire, des forces politiques françaises et de la réalité sociologique, c'est ouvrir la voie à de possibles dérapages et obstructions dont les auteurs ne peuvent être que ceux qui, un demi-siècle après, n'ont pas digéré la sanction du référendum du 3 juillet 1962. Un premier exemple de ce qui est affirmé vient d'être donné de façon toute particulière par la ville de Nice où la section locale de la Ligue des droits de l'Homme organisait le 10 février un colloque intitulé «Algérie 1962 : pourquoi une fin de guerre si tragique» avec la participation d'éminents historiens comme Gilles Manceron, Benjamin Stora et Abdelmadjid Merdaci, notamment. Jusque-là, rien d'anormal. Mais le jeudi 9 février, le maire de la ville, Christian Estrosi, a fait une sortie stupéfiante en déclarant dans un communiqué son opposition à la tenue du colloque. Cet ancien ministre, proche du président Sarkozy, affirme sa «totale désapprobation quant à cette démarche» car elle ne s'inscrivait pas dans «l'esprit» de la commémoration organisée par sa municipalité. Il a demandé à la LDH de «surseoir, dans un esprit de sagesse et d'apaisement à la tenue de ce colloque» pour l'étonnant motif qu'il explique ainsi : «En effet, j'ai souhaité que cette année du cinquantenaire du rapatriement d'Algérie à Nice soit dédiée à nos compatriotes rapatriés de toutes confessions. Le programme mis en place par la ville de Nice a été élaboré en commun puis validé par les associations de rapatriés et de harkis et placé sous le haut patronage de la présidence de la République».Etonnement et stupéfaction chez les dirigeants de la section niçoise de la LDH. Loin de céder à l'intimidation, leur réaction a été immédiate et vive via un communiqué sans concession : «Au nom d'une prétendue mémoire unique des Français d'Algérie, peut-on lire, dans une démarche sans précédent, le maire de Nice s'érige en détenteur de la vérité historique et somme la LDH d'annuler le colloque. Il suggère une faute de la maison des associations qui accueille l'initiative, instrumentalise la souffrance, les sentiments et les émotions des rapatriés et des harkis. Enfin, sur un mode particulièrement menaçant, il agite la menace d'une opposition physique à la tenue du colloque».La LDH de Nice avertit qu'elle «ne reculera pas devant une telle intimidation ; elle ne pliera pas devant un maire qui démontre une fois de plus qu'il n'est pas le garant qu'il devrait être du pluralisme et de la démocratie». La réplique de la Ligue est relayée au niveau national par une lettre adressée par son président, Pierre Tartakowsky, au maire de Nice et au ministre de l'Intérieur, Claude Guéant. Dans ce courrier, LDH-France affirme son soutien à sa section niçoise, dénonce l'atteinte à la liberté de C. Estrosi, et affiche son attachement «à l'expression de l'histoire dans sa complexité et ses contradictions». «Elle ne fait donc pas de la Guerre d'Algérie l'occasion d'une manœuvre électoraliste et clientéliste. Elle est partie prenante du colloque organisé à Nice, comme elle participera en mars prochain à celui d'Evian, qui analysera dans une perspective historique les accords qui ont mis fin à la Guerre d'Algérie» explique P. Tartakowsky qui porte sur le maire «l'entière responsabilité des événements qui pourraient avoir été suscités par votre démarche» et «Vous serez comptable de fait, s'il se trouvait que des personnes se sentent autorisées à s'opposer par la force à la tenue d'un colloque que vous-même savez ne pas pouvoir interdire par la loi».Evidemment, Estrosi n'était pas en état, aux yeux de la loi, d'interdire le colloque qui a bien eu lieu samedi toute la journée. Mais, comme le craignait le président de la LDH, la première séance des travaux a été perturbée par des nostalgiques de l'Algérie française qui se sont introduits dans la salle du colloque en se regroupant sur son côté gauche. Selon le quotidien local Nice Matin, ils ont perturbé par des invectives et des insultes, l'intervention de la présidente de la section locale de la LDH, Denise Vanel, et la conférence de Gilles Manceron, portant sur l'OAS la responsabilité du fait que l'Algérie n'a pas connu une issue pacifique comme en Afrique du Sud. «Les débats se sont ensuite poursuivis, dans un climat plus apaisé, jusqu'en fin d'après-midi» toujours selon Nice Matin. Ce qui s'est passé à Nice est à méditer. Il laisse entrevoir que dans cette partie de la France, le sud en général, où des nostalgiques de l'Algérie française sont présents, et parfois agissants, ceux-ci ne manqueront pas d'utiliser des moyens anti- démocratiques pour empêcher ou perturber des manifestations liées au 50e anniversaire de l'indépendance de l'Algérie avec la bénédiction de certains élus qui peuvent être tentés par des manœuvres électoralistes avec l'élection présidentielle du 22 avril et 6 mai, ainsi que des législatives qui interviendront en juin.