[image] Photo : S. Zoheir Par Hassan Gherab Quand les représentants et les institutions de l'Etat tordent le cou aux lois de ce même Etat, alors qu'ils sont censés être les premiers à les appliquer et les respecter, c'est, dès lors, la porte ouverte à l'abus de pouvoir et, réaction logique, au bras de fer avec les citoyens qui voudront faire valoir leurs droits bafoués. C'est à cette situation qu'ont été amenés les habitants de la commune de Baba Hassen, à l'ouest d'Alger, qui, à leurs corps défendant, ont décidés de sortir, aujourd'hui, manifester, pacifiquement, pour demander la fermeture définitive de la décharge illicite d'Ouled Fayet, qui, faut-il le préciser, aurait dû être fermée depuis six ans déjà si les responsables avaient respecté la loi et exécuté la décision du Conseil d'Etat ordonnant, par arrêté du 23 mai 2007, affaire 032 758, la fermeture définitive de cette décharge. Mieux, l'ex-ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement, Chérif Rahmani, avait annoncé, en janvier dernier, devant les élus de l'APN, que la décharge sera définitivement fermée et qu'un parc sera aménagé à sa place. Mais la promesse ne dépassera pas l'huis de l'hémicycle. Le directeur de l'environnement de la wilaya d'Alger fera la même promesse, sur les ondes de la Radio nationale, qui aura la même suite : rien.C'est donc après avoir essuyé des fins de non-recevoir de la part des autorités, locales et centrales, que le Mouvement écologique de Baba Hassen, qui a appelé à cette manifestation, a décidé de recourir à l'occupation de l'espace public pour faire entendre le SOS de toute une région. Car, la décharge est toujours exploitée bien qu'elle soit arrivée à saturation l'année dernière. Une enquête publique pour l'installation d'un centre de transfert de déchets ménagers dans cette décharge a été lancée en décembre dernier. «Le dernier casier de la décharge sera saturé vers février 2012, mais la décharge ne sera pas fermée pour autant. Sa durée d'exploitation va être prolongée pour recevoir tous les déchets ménagers de 17 communes de la wilaya d'Alger (plus de 3 000 m3/j) en installant un centre de transfert des déchets ménagers à l'intérieur de la décharge», avait alerté l'association avant la décision de prolongement de l'exploitation de la décharge qui a été prise après une enquête Commodo-Incommodo. Mais cette enquête a été lancée, du 20 décembre 2011 au 19 janvier 2012, dans la seule commune d'Ouled Fayet, qui se trouve à 4 km de la décharge, alors que les communes de Douéra, Souidania et Baba Hassen, qui sont limitrophes de la décharge, sont également concernées. Encore une entorse à la loi. Car, le décret exécutif 07-145 du 19 mai 2007, notamment son article 10, stipule qu'une enquête publique «doit être portée à la connaissance du public par voie d'affichage dans toutes les communes limitrophes». Evidemment, l'association écologique a informé les autorités de toutes ces entorses et dangers qu'elles font sciemment peser sur la santé de toute une population. Dans une étude d'impact, dont une copie a été remise aux différents responsables, le Mouvement écologique de Baba Hassen a démontré, avec photos à l'appui, la dangerosité (que nous avons constaté de visu) des casiers déjà existants. «Au niveau des casiers déjà fermés du CET, on constate la remontée des lixiviats à travers les cheminées des biogaz ; ce qui empêche le drainage de ces derniers. Les biogaz se faufilent à travers les fissures, visibles sur la couche de terre recouvrant le casier, et dans les endroits confinés et ce, même en dehors des casiers. Les lixiviats, jetés dans la nature sans aucun traitement pendant plus de dix années, sont à l'origine d'une pollution irréversible le long du lit de l'oued Ben Brahim, continuant ses ravages jusqu'à l'embouchure de l'oued El Harrach», lit-on dans le rapport. «Lors de leur stockage et sous l'action conjuguée de l'eau de pluie et de la fermentation naturelle, les déchets produisent une fraction liquide appelée ‘‘lixiviats''. Riches en matière organique et en éléments traces, ces lixiviats ne peuvent être rejetés directement dans le milieu naturel et doivent être soigneusement collectés et traités», indique le Dictionnaire de l'environnement. Or, ces lixiviats abreuvent les prés alentour de la décharge où nous avons vu paître et boire au ruisseau qui les traverse des vaches, dont la viande finira dans notre assiette, et s'infiltrent dans les nappes aquifères souterraines empoisonnant l'eau de toute la région et les végétaux autour du site qui dépérissent.De plus, les gaz produits par la fermentation ne pouvant être évacués par les tuyères prévues à cet effet car bouchées par les détritus et les lixiviats, ont fait craqueler la couche de terre recouvrant les casiers et s'échappent dans l'air. L'odeur du méthane plane sur tout le site du CET, avec le danger permanent d'une explosion qui pourrait faire des victimes parmi les chauffeurs des bennes à ordures. Les déchets, qui ne sont pas triés, peuvent également contenir des substances cancérigènes après décomposition.Considérant tous ces dangers, auxquels s'ajoutent les odeurs et les émanations nauséabondes qui rendent l'air de Douéra (où se trouve un hôpital), Baba Hassen, Souidania et Ouled Fayet irrespirable, on ne peut que comprendre la réaction des habitants. Par contre, ce qui est incompréhensible et intolérable, c'est bien la réaction et la position des responsables, à tous les niveaux. Comment peut-on construire un Etat de droit quand le droit est bafoué par ce même Etat ? Quel est donc cet Etat de droit qui piétine impunément ses lois, et pousse jusqu'à violenter les citoyens qui manifestent, pacifiquement, pour lui demander de respecter ces lois et d'assumer sa mission de protéger les citoyens contre tout abus, même s'il émane de l'Etat ? Car, il y a fort à parier que les forces de l'ordre seront au rendez-vous de la manifestation populaire alors qu'il aurait été plus juste de les faire intervenir bien avant pour faire appliquer les décisions de justice ordonnant la fermeture de la décharge. Les citoyens n'auraient pas eu, aujourd'hui, à sortir pour demander à l'Etat de faire son travail, au risque de se faire molester.