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L'Islam politique réactionnaire, allié des stratégies de la triade impérialiste
Ennemi des peuples qu'il prétend libérer
Publié dans La Tribune le 28 - 01 - 2013

L'Islam politique - au-delà de la variété apparente de ses expressions- n'est pas un «mouvement de renaissance de la foi religieuse» (que celle-ci plaise ou non), mais une force politique archi-réactionnaire qui condamne les peuples qui sont les victimes éventuelles de l'exercice de son pouvoir, à la régression sur tous les plans, les rendant par là même incapables de répondre positivement aux défis auxquels ils sont confrontés. Ce pouvoir ne constitue pas un frein à la poursuite du processus de dégradation et de paupérisation en cours depuis trois décennies. Au contraire, il en accentue le mouvement, dont il se nourrit lui-même.
Telle est la raison fondamentale pour laquelle les puissances de la triade - telles qu'elles sont et demeurent- y voient un allié stratégique. Le soutien systématique apporté par ces puissances à l'Islam politique réactionnaire a été et demeure l'une des raisons majeures des «succès» qu'il a enregistrés : les Talibans d'Afghanistan, le FIS en Algérie, les «Islamistes» en Somali et au Soudan, ceux de Turquie, d'Egypte, de Tunisie et d'ailleurs ont tous bénéficié de ce soutien à un moment décisif pour leur saisie du pouvoir local. Aucune des composantes dites modérés de l'Islam politique ne s'est jamais dissociée véritablement des auteurs d'actes terroristes de leurs composantes dites «salafistes». Ils ont tous bénéficié et continuent à bénéficier de «l'exil» dans les pays du Golfe, lorsque
nécessaire. En Libye hier, en Syrie encore aujourd'hui, ils continuent à être soutenus par ces mêmes puissances de la triade. En même temps, les exactions et les crimes qu'ils commettent sont parfaitement intégrés dans le discours d'accompagnement de la stratégie fondée sur leur soutien : ils permettent de donner de la crédibilité à la thèse d'une «guerre des civilisations» qui facilite le ralliement «consensuel» des peuples de la triade au projet global du capital des monopoles. Les deux discours - la démocratie et la guerre au terrorisme- se complètent mutuellement dans cette stratégie.
Il faut une bonne dose de naïveté pour croire que l'Islam politique de certains - qualifié à ce titre de «modéré»- serait soluble dans la démocratie. Il y a certes partage des tâches entre ceux-ci et les «salafistes» qui les déborderaient dit-on avec une fausse naïveté par leurs excès fanatiques, criminels, voire terroristes. Mais leur projet est commun - une théocratie archaïque par définition aux antipodes de la démocratie même minimale.

Le Sahélistan, un projet au service de quels intérêts ?
De Gaulle avait caressé le projet d'un «Grand Sahara français». Mais la ténacité du Front de libération nationale (FLN) algérien et la radicalisation du Mali, de l'Union Soudanaise de Modibo Keita ont fait échouer le projet, définitivement à partir de 1962-1963. S'il y a peut être quelques nostalgiques du projet à Paris, je ne crois pas qu'ils soient en mesure de convaincre des politiciens dotés d'une intelligence normale de la possibilité de le ressusciter.
En fait le projet de Sahélistan n'est pas celui de la France - même si Sarkozy s'y était rallié. Il est celui de la nébuleuse constituée par l'Islam politique en question et bénéficie du regard éventuellement favorable des Etats-Unis et dans leur sillage de leurs lieutenants dans l'Union européenne (qui n'existe pas) - la Grande-Bretagne et l'Allemagne.
Le Sahélistan «islamique» permettrait la création d'un grand Etat couvrant une bonne partie du Sahara malien, mauritanien, nigérien et algérien doté de ressources minérales importantes : uranium, pétrole et gaz. Ces ressources ne seraient pas ouvertes principalement à la France, mais en premier lieu aux puissances dominantes de la triade. Ce «royaume», à l'image de ce qu'est l'Arabie saoudite et les Emirats du Golfe, pourrait aisément «acheter» le soutien de sa population clairsemée, et ses émirs transformer en fortunes personnelles fabuleuses la fraction de la rente qui leur serait laissée. Le Golfe reste, pour les puissances de la triade, le modèle du meilleur allié/serviteur utile, en dépit du caractère farouchement archaïque et esclavagiste de sa gestion sociale - je dirai grâce à ce caractère. Les pouvoirs en place dans le Sahélistan s'abstiendraient de poursuivre des actions de terrorisme sur leur territoire, sans pour autant s'interdire de les soutenir éventuellement ailleurs.
La France, qui était parvenue à sauvegarder du projet du «Grand Sahara» le contrôle du Niger et de son uranium, n'occuperait plus qu'une place secondaire dans le Sahélistan.
Il revient à F. Hollande - et c'est tout à son honneur- de l'avoir compris et refusé. On ne devrait pas s'étonner de voir que l'intervention qu'il a décidée ait été immédiatement soutenue par Alger et quelques autres pays pourtant non classés par Paris comme des «amis».
Le pouvoir algérien a démontré sa parfaite lucidité : il sait que l'objectif du Sahélistan vise également le Sud algérien et pas seulement le Nord du Mali. On ne devrait pas davantage s'étonner que les «alliés de la France» - les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, sans parler de l'Arabie saoudite et du Qatar- soient en réalité hostiles à cette intervention, qu'ils n'ont accepté du bout des lèvres que parce qu'ils ont été mis devant le fait accompli - la décision de F. Hollande. Mais ils ne seraient pas mécontents de voire l'opération s'enliser et échouer. Cela redonnerait de la vigueur à la reprise du projet du Sahélistan.

Gagner la guerre du Sahara
Je suis donc de ceux qui souhaitent et espèrent que la guerre du Sahara sera gagnée, ces Islamistes éradiqués dans la région (Mali et Algérie en particulier), le Mali restauré dans ses frontières. Cette victoire est la condition nécessaire incontournable, mais est loin d'être la condition suffisante, pour une reconstruction ultérieure de l'Etat et de la société du Mali. Cette guerre sera longue, coûteuse et pénible et son issue reste incertaine. La victoire exige que soient réunies certaines conditions. Il faudrait en effet non seulement que les forces armées françaises n'abandonnent pas le terrain avant la victoire, mais encore qu'une armée malienne digne de ce nom soit reconstituée rapidement. Car il faut savoir que l'intervention militaire des autres pays africains ne pourra pas constituer l'élément décisif de la victoire.
La reconstruction de l'armée malienne relève du tout à fait faisable. Le Mali de Modibo était parvenu à construire une force armée compétente et dévouée à la nation, suffisante pour dissuader les agresseurs comme le sont les Islamistes d'Aqmi aujourd'hui. Cette force armée a été systématiquement détruite par la dictature de Moussa Traoré et n'a pas été reconstruite par ses successeurs. Mais le peuple malien ayant pleine conscience que son pays a le devoir d'être armé, la reconstruction de son armée bénéficie d'un terrain favorable. L'obstacle est financier : recruter des milliers de soldats et les équiper n'est pas à la portée des moyens actuels du pays, et ni les Etats africains, ni l'ONU ne consentiront à pallier cette misère. La France doit comprendre que le seul moyen qui permettra la victoire l'oblige à le faire. L'enlisement et la défaite ne seraient pas seulement une catastrophe pour les peuples africains, elles seraient tout autant pour la France. La victoire constituerait un moyen important de restauration de la place de la France dans le concert des nations,
au-delà même de l'Europe.
Il n'y a pas grand chose à attendre des pays de la Cedeao. Les gardes prétoriennes de la plupart de ces pays n'ont d'armée que le nom. Certes, le Nigeria dispose de forces nombreuses et équipées, malheureusement peu disciplinées pour le moins qu'on puisse dire ; et beaucoup de ses officiers supérieurs ne poursuivent pas d'autre objectif que le pillage des régions où elles interviennent. Le Sénégal dispose également d'une force militaire compétente et de surcroît disciplinée, mais petite, à l'échelle du pays. Plus loin en Afrique, l'Angola et l'Afrique du Sud pourraient apporter des appuis efficaces ; mais leur éloignement géographique, et peut être d'autres
considérations, font courir le risque qu'ils n'en voient pas l'intérêt.
Un engagement de la France ferme, déterminé et pour toute la durée nécessaire implique que la diplomatie de Paris comprenne qu'il lui faut prendre des distances à l'égard de ses co-équipiers de l'OTAN et de l'Europe. Cette partie est loin d'être gagnée et rien n'indique pour le moment que le gouvernement de F. Hollande soit capable de l'oser.

Gagner la bataille diplomatique
Le conflit visible entre les objectifs honorables de l'intervention française au Mali et la poursuite de la ligne diplomatique actuelle de Paris deviendra rapidement intolérable.
La France ne peut pas combattre les «Islamistes» à Tombouctou et les soutenir à Alep !
La diplomatie française, accrochée à l'Otan et à l'Union européenne, partage la responsabilité de ses alliés dans les succès de l'Islam politique réactionnaire. Elle en a fournit la preuve éclatante dans l'aventure libyenne dont le seul résultat a été (et cela était prévisible et certainement voulu, au moins par Washington) non pas de libérer le peuple libyen de Kadhafi (un pitre plus qu'un dictateur) mais de détruire la Libye, devenue terre d'opération de seigneurs de guerre, directement à l'origine du renforcement d'Aqmi au Mali.
Car, l'hydre de l'Islam politique réactionnaire recrute autant dans les milieux du grand banditisme que chez les fous de Dieu. Au-delà du «djihad», leurs émirs -qui s'autoproclament les défenseurs intransigeants de la foi- s'enrichissent du trafic de la drogue (les Talibans, l'Aqmi), des armes (les seigneurs de guerre libyens), de la prostitution (les Kosovars).
Or, la diplomatie française jusqu'à ce jour soutient les mêmes, en Syrie par exemple. Les médias français donnent crédit aux communiqués du prétendu Observatoire syrien des Droits de l'Homme, une officine connue pour être celle des Frères musulmans, fondée par Ryad El Maleh, soutenue par la CIA et les services britanniques. Autant faire crédit aux communiqués d'Ansar Eddine ! La France tolère que la soit disant «Coalition nationale des forces de l'opposition et de la révolution» soit présidée par le Cheikh Ahmad El Khatib choisi par Washington, Frère Musulman et auteur de l'incendie du quartier de Douma à Damas.
Je serais surpris (mais la surprise serait agréable) que F. Hollande ose renverser la table, comme De Gaulle l'avait fait (sortir de l'Otan, pratiquer en Europe la politique de la chaise vide). On ne lui demande pas d'en faire autant, mais seulement d'infléchir ses relations diplomatiques dans le sens exigé par la poursuite de l'action au Mali, de comprendre que la France compte plus d'adversaires dans le camp de ses «alliés» que dans celui de ses «ennemis» ! Cela ne serait pas la première fois qu'il en serait ainsi lorsque deux camps s'affrontent sur le terrain diplomatique.

Reconstruire le Mali
La reconstruction du Mali ne peut être que l'œuvre des Maliens. Encore serait-il souhaitable qu'on les y aide plutôt que d'ériger des barrières qui rendent impossible cette reconstruction.
Les ambitions «coloniales» françaises - faire du Mali un Etat client à l'image de quelques autres dans la région- ne sont peut être pas absentes chez certains des responsables de la politique malienne de Paris. La Françafrique a toujours ses porte-paroles. Mais elles ne
constituent pas un danger réel, encore moins majeur. Un Mali reconstruit saura aussi affirmer - ou réaffirmer- rapidement son indépendance. Par contre, un Mali saccagé par l'Islam politique réactionnaire serait incapable avant longtemps de conquérir une place honorable sur l'échiquier régional et mondial. Comme la Somalie, il risquerait d'être effacé de la liste des Etats souverains dignes de ce nom.
Le Mali avait, à l'époque de Modibo, fait des avancées en direction du progrès économique et social comme de son affirmation indépendante et de l'unité de ses composantes ethniques.
L'Union Soudanaise était parvenue à unifier dans une même nation les Bambara du Sud, les pêcheurs Bozo, les paysans Songhaï et les
Bella de la vallée du Niger de Mopti à Ansongo (on oublie aujourd'hui que la majorité des habitants du Nord Mali n'est pas constituée par les Touaregs), et même fait accepter aux Touaregs l'affranchissement de leurs serfs Bella. Il reste que faute de moyens - et de volonté après la chute de Modibo- les gouvernements de Bamako ont par la suite sacrifié les projets de développement du Nord. Certaines revendications des Touaregs sont de ce fait parfaitement légitimes. Alger qui préconise de distinguer dans la rébellion les Touaregs
(désormais marginalisés), avec lesquels il faut discuter, des Djihadistes venus d'ailleurs - souvent parfaitement racistes à l'égard des «Noirs»-, fait preuve de lucidité à cet endroit.
Les limites des réalisations du Mali de Modibo, mais aussi l'hostilité des puissances occidentales (et de la France en particulier), sont à l'origine de la dérive du projet et finalement du succès de l'odieux coup d'état de Moussa Traoré (soutenu jusqu'au bout par Paris) dont la dictature porte la responsabilité de la décomposition de la société malienne, de sa paupérisation et de son impuissance.
Le puissant mouvement de révolte du peuple malien parvenu, au prix de dizaines de milliers de victimes, à renverser la dictature, avait nourri de grands espoirs de renaissance du pays.

Ces espoirs ont été déçus. Pourquoi ?
Le peuple malien bénéficie depuis la chute de Moussa Traoré de libertés démocratiques sans pareilles. Néanmoins, cela ne semble avoir servi à rien : des centaines de partis fantômes sans programme, des parlementaires élus impotents, la corruption généralisée. Des
analystes dont l'esprit n'est toujours pas libéré des préjugés racistes, s'empressent de conclure que ce peuple (comme les Africains en général) n'est pas mûr pour la démocratie ! On feint d'ignorer que la victoire des luttes du peuple malien a coïncidé avec l'offensive «néolibérale» qui a imposé à ce pays fragilisé à l'extrême un modèle de lumpen-développement préconisé par la Banque mondiale et soutenu par l'Europe et la France, générateur de régression sociale et économique et de paupérisation sans limites.
Ce sont ces politiques qui portent la responsabilité majeure de l'échec de la démocratie, décrédibilisée. Cette involution a créé ici comme ailleurs un terrain favorable à la montée de l'influence de l'Islam politique réactionnaire (financé par le Golfe) non seulement dans le Nord capturé par la suite par l'Aqmi mais également à Bamako. La décrépitude de l'Etat malien qui en a résulté, est à l'origine de la crise qui a conduit à la destitution du Président Amani Toumani Touré (réfugié depuis au Sénégal), au coup d'Etat irréfléchi de Sanogho puis à la mise sous tutelle du Mali par la «nomination» d'un Président «provisoire» - dit de transition- par la Cedeao, dont la présidence est exercée par le président ivoirien A. Ouattara qui n'a jamais été qu'un fonctionnaire du FMI et du ministère français de la Coopération.
C'est ce président, dont la légitimité est aux yeux des Maliens proche de zéro, qui a fait appel à l'intervention française. Ce fait affaiblit considérablement la force de l'argument de Paris bien que diplomatiquement impeccable : que Paris a répondu à l'appel du chef d'Etat «légitime» d'un pays ami. Mais alors en quoi l'appel du chef de l'Etat Syrien - incontestablement non moins légitime- au soutien de l'Iran et de la Russie est-elle «inacceptable» ? Il appartient à Paris de corriger le tir et de revoir son langage.
Mais, surtout, la reconstruction du Mali passe désormais par le rejet pur et simple des «solutions» libérales qui sont à l'origine de tous ses problèmes. Or, sur ce point fondamental, les concepts de Paris demeurent ceux qui ont cours à Washington, Londres et Berlin. Les concepts «d'aide au développement» de Paris ne sortent pas des litanies libérales dominantes.
Rien d'autre. La France, même si elle gagnait la bataille du Sahara - ce que je souhaite- reste mal placée pour contribuer à la reconstruction du Mali. L'échec, certain, permettrait alors aux faux amis de la France de prendre leur revanche.
S. A.
*Economiste franco-egyptien, directeur du Forum du Tiers Monde et président du Forum Mondial des Alternatives.
Publié le 23 janvier 2013 par le site du Mouvement politique d'émancipation populaire (M'PEP)


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