Par A. Lemili Dans le championnat national de football professionnel peut-on parler de joueurs surpayés et, dans la foulée, dénoncer l'indécence incontestable des montants évoqués lors de leurs recrutements au moment où, paradoxalement, des diplômés universitaires sont au chômage et, dans le meilleur des cas, titulaires d'emplois où ils sont corvéables à merci et révocables à tout instant ? Bien sûr, il relève du constat le plus naïf que le renversement des valeurs est aujourd'hui l'implacable dénominateur d'une société totalement déstructurée d'abord mais, ensuite, parce que perverti le système est condamné à fonctionner sur ce modèle jusqu'à son implosion et éventuellement à une révolution qui remettrait tout à plat. Le secteur des sports ne saurait être dissocié des turbulences qui agitent le monde du travail et les mouvements quasi-quotidiens de grèves qui paralysent bien des secteurs. N'arrive-t-il d'ailleurs pas que des footballeurs se mettent en grève parce qu'ils n'ont pas touché leurs salaires ? Il ne s'agit pourtant que de paiements différés en raison de la trésorerie vacillante des employeurs, lesquels sont eux-mêmes, autre paradoxe et de taille celui-ci, tributaires de la manne publique pour des clubs réputés professionnels, fonctionnellement indépendants et surtout créateurs de leurs propres richesses. Ce qui se passe dans les secteurs de l'éducation, la santé et/ou une partie du secteur économique et les arrêts de travail intempestifs, sauvages ou réglementaires est pourtant, comparativement aux salaires perçus par les footballeurs professionnels et les conditions dans lesquelles il est gagné (une sinécure) est une véritable insulte à la raison. Même le sacro-saint argumentaire selon lequel la durée de vie professionnelle d'un footballeur serait limitée et dans le temps et fonction également des aléas du métier en raison de blessures pouvant mettre prématurément fin à une carrière, une dévalorisation pour une raison ou une autre du potentiel professionnel individuel facilement imputable à une inhibition elle-même due à une trop forte pression, ce sacro-saint argumentaire ne saurait être allègrement brandi pour se donner bonne conscience et surtout légitimer une dérive sociétale grave. Bien entendu, tout cela n'est pas l'apanage de l'Algérie seulement. C'est aussi valable à l'échelle régionale, continentale et même mondiale. Ce n'est donc pas sans grande lucidité et justesse de propos que Michel Platini a été le premier à dénoncer la grande dérive dans le système salarial des footballeurs européens et la compétition tout autant indécente que se livraient les clubs pour obtenir les services de joueurs au statut de star au moment où la crise laminait l'ensemble de l'Europe, entraînant la fermeture de grands pans de l'industrie mettant ainsi au chômage des milliers de travailleurs, et enfin son idée lumineuse de «Fair-play financier». Ramené à l'expérience algérienne et à ce qui se passe actuellement, un tel raisonnement n'aura jamais droit de cité parce qu'il suppose une culture sociale de grande qualité au sein du microcosme sportif. Ce qui n'est pas le cas, celui-ci étant aux mains d'une faune d'aventuriers de la finance, et généralement d'aventuriers dans la stricte acception du qualificatif, dont les desseins sont très souvent liés au recyclage d'argent douteux où à l'installation d'un réseau d'influence quand ce même argent s'évertue à faire croire à sa légitimité.
Sonatrach, une prise en charge teintée d'arbitraire Aujourd'hui, les clubs qui frayent dans ces eaux sont au nombre d'une dizaine aussi bien en L1 ou en L2 et l'Etat, représenté par la puissante Sonatrach, en s'invitant sur la scène en est venu rajouter à la nébulosité sinon encourager littéralement la démesure dans un secteur que ses instruments sont pourtant censés réguler. Nous en donnons pour exemple le CSC où le discours officiel qui a remplacé une communication jusque-là construite sur la rumeur, l'intox, la manipulation, la surenchère, est plutôt immoral sachant que le représentant du repreneur majoritaire du club, en l'occurrence la société de transport aérien Tassili Airlines, parle d'une avance sur budget de 60 milliards de centimes en attendant le rajout de 60 autres pour l'ensemble de la saison à venir. Ce budget forcément ne peut passer inaperçu, suscite tous les appétits, les convoitises et autant le dire un usage douteux quelles que soient les assurances que donnerait la société mère, déjà plus qu'ébranlée par les scandales économiques. Ce qui se passe déjà au CSC, avec les turbulences récentes nées à partir du moment où, semblerait-il, un cadre appelé à la rescousse a commencé à évoquer la nécessité d'installer des structures saines, conformes aux normes sportives qui ont fait leurs preuves au-delà des frontières, une traçabilité dans la gestion. Il est donc aisé de dessiner d'ores et déjà une carte de l'itinéraire que vont prendre les footballeurs réputés cotés et surtout déterminer l'impact de l'argent sur la valeur de footballeurs dont la leur (valeur) est plus que relative. En effet, le cours, pourrait-il être autrement dit, d'un marché de dupes qui a lieu deux fois par an, de la valeur des joueurs est entretenu par des agents, dont il faut souligner que c'est le métier pour ceux toutefois reconnus par la FIFA, et parfois des intermédiaires qui s'insèrent dans le débat comme profiteraient des rémoras, ce petits poissons qui vivent des restes d'un festin de squale. Aujourd'hui, ledit marché est totalement déstabilisé et à la merci des clubs les plus riches et plus particulièrement de ceux qui ont bénéficié de la reprise des filiales de Sonatrach. Néanmoins et au vu des dysfonctionnements intervenus au sein d'un club, le CSC pour ne pas le citer encore une fois, il parait pour le moins incongru qu'une entreprise dont la réputation est désormais largement écornée par les affaires puisse assurer à l'avenir, plus particulièrement dans ce segment, une gestion transparente et une traçabilité des opérations financières non pas dans le sens dans la consignation des écritures comptables mais surtout par rapport aux négociations entre les recrues et ceux qui, ès qualité, parlent au nom du club. Même si d'aucuns argueront que toute démarche administrative sera notariée…ce qui est loin d'être une référence au vu des magouilles que nul n'ignore et qui sont devenues une pratique normale et normalisée. Le président de la JSM Béjaïa s'est plaint récemment de réactions des meilleurs joueurs de sa formation à l'appel des sirènes lancé ici et là par des clubs «financièrement puissants» et menace de boycott la compétition. Une réaction somme toute logique que devraient sans doute suivre les autres formations ne serait-ce que pour capter pour une fois l'intérêt des instances sportives nationales en charge de la discipline. A. L.