La Tribune : L'Etat a décidé de relancer le secteur des TIC à même de bâtir une économie numérique, mais en dépit de la volonté affichée le secteur demeure peu développé et sa contribution dans le PIB national demeure faible. Qu'en dites-vous? Younès Grar : Les discours et les annonces de projets liés aux TIC existent bien mais sur le terrain peu de choses reflètent ces annonces. Il y a eu mieux encore, une stratégie e-Algerie2013 qui a été élaborée par le Mptic avec la contribution de l'ensemble des ministères et plus de 400 experts, universitaires et acteurs du secteur public et privé. Cette stratégie a proposé un certain nombre d'actions pour permettre à notre pays de mettre en œuvre ce qu'on appelle la société de l'information, ou la société basée sur la connaissance. Le document a été revu en tenant compte des remarques du Cnes puis transmis au gouvernement pour son approbation et sa mise en œuvre. Malheureusement le document est resté à l'étape théorique. Dans le domaine des TIC, on a l'impression que nos décideurs pensent qu'avoir une stratégie, voir des démonstrations de certains fournisseurs, établir des recommandations lors de séminaires ou mettre en place des commissions, ceci suffit pour faire avancer notre pays dans ce domaine. C'est pour cela que nos décideurs sont noyés dans des effets d'annonces de projets qui sont restés à l'étape d'annonce sans aucune présence réelle sur le terrain. Je citerais certains projets: le réseau intranet gouvernemental RIG, Ousratic, e-commerce, paiement électronique, haut débit, 3G, certification électronique, GPS, etc… et la liste est longue.
Selon vous, l'environnement est-t-il favorable au développement du secteur des TIC, voire même d'une industrie du contenu? Dans le monde, le secteur qui permet de faire avancer le développement socioéconomique est celui des TIC. Les entreprises les plus actives et les plus riches sont celles qui activent dans ce domaine. Notre pays ne peut être une exception. Plusieurs experts ont alerté nos décideurs sur la nécessité de donner de l'importance à ce secteur. Je citerais le mémorandum élaboré par le Pr Mentalechta en 2007 auquel j'ai participé personnellement. Ce mémorandum a tracé un bilan du secteur depuis l'indépendance à ce jour et a proposé des mesures concrètes pour sortir le secteur des TIC de son marasme. Certaines mesures ont été mises en œuvre, entre autres se doter d'une stratégie qui permet d'avoir une visibilité sur ce qu'on veut réaliser et comment. Une mesure importante a été omise, celle de mettre en place une délégation rattachée au Premier ministère ou à la Présidence qui aura la charge de veiller à la mise en œuvre de cette stratégie en faisant faire les différentes actions par les ministères, administrations et entreprises. Pour revenir à votre question, l'environnement est favorable à condition de passer de la théorie vers la pratique, des effets d'annonces à l'annonce de faits. Plusieurs chantiers attendent des entrepreneurs et investisseurs. Le e-gouvernement, la e-administration, le paiement électronique, le e-commerce, les infrastructures télécoms fixes et mobiles, les terminaux, beaucoup reste à faire à tous ces niveaux. Ceci créera plusieurs entreprises et donnera naissance à des milliers d'emplois. Pour faire tourner ces équipements, terminaux et plateformes il nous faut du contenu et des services électroniques, des bases de données, des systèmes d'information qu'on doit développer nous-mêmes, et là beaucoup de travail attend nos ingénieurs. Ceci donnera naissance automatiquement à une industrie du contenu. C'est l'une des actions importantes proposées dans le programme e-Algerie2013.
Les pouvoirs publics préparent un projet de loi sur les activités de la poste, des TIC, pour, entre autres, renforcer l'industrie des TIC... Une loi est nécessaire mais elle n'est pas suffisante. Il faut la mettre en œuvre sinon on retombe dans ce que j'ai cité plus haut. On aura de belles lois, de merveilleux textes et des rapports très riches mais rien sur le terrain. Est-ce qu'on doit avoir une nouvelle loi pour qu'Algérie Télécom réponde aux requêtes de ses clients, régler le problème des dérangements, offrir de l'Adsl à 20 Mbps avec une bonne qualité ?! Il y a un problème de management plus qu'un problème de conception.
Que faut-il donc faire pour booster le secteur et édifier une industrie des TIC? C'est simple. Il faut se mettre au travail en donnant la chance aux jeunes compétences. On ne peut faire du neuf avec du vieux. Les TIC avancent rapidement, chaque jour il y a une technologie, un smartphone, une application. Les jeunes arrivent à suivre ces évolutions et les assimilent facilement. On doit reprendre tous les rapports rédigés par des experts algériens et étrangers et passer à l'étape mise en œuvre. Entre autres, il faut reprendre le programme e-Algerie2013 et lancer des chantiers pour la réalisation des actions proposées.
Et dépit de l'ouverture d'une partie du marché des TIC à la concurrence, on constate que l'engouement sur certains segments reste faible. Quel est votre avis? Le manque de visibilité des responsables du secteur et les annonces qu'ils ne respectent pas, découragent les entrepreneurs à se lancer sur certains segments. Lorsqu'on annonce depuis des années que le paiement électronique sera effectif avant la fin de l'année en cours puis, arrivés à terme, on décale l'échéance en présentant les mêmes excuses et discours, comment voulez-vous que les gens s'aventurent par exemple dans des solutions de e-commerce bien que la demande existe. Même chose pour les développements mobiles et autres solutions, les gens ne font pas confiance aux discours. Ils attendent du concret, des annonces de faits réels, pour se lancer sérieusement dans leurs actions entrepreneuriales.
Nombreux sont les projets programmés dans le plan d'action du secteur mais qui ont été, à plusieurs reprises, reportés, citons le projet e-Algérie 2013, la 3G, la 4G, etc, quelle explication donnez-vous à ces retards ? Le manque de visibilité et de sérieux dans la prise en charge de ces projets mettent nos décideurs dans ces situations ridicules. Je pense qu'il est impératif de mettre en place une délégation, institution, conseil ou tout autre désignation qui s'occupe des TIC et qui doit être rattachée au Premier ministère ou la Présidence et qui aura l'autorité nécessaire pour trancher sur certains problèmes qui bloquent ou retardent le lancement de certains projets. Cette délégation, avec un organigramme léger et simple qui regroupera un nombre limité de jeunes experts et compétences dans le domaine des télécoms/réseaux, systèmes d'information etc… et qui mettra en œuvre les différentes actions et projets liés aux TIC, pourra débloquer cette situation et faire sortir les TIC de ce marasme.
L'exemple des annonces répétées de lancement de la 3G illustre parfaitement le manque de planification et de vision dans le secteur. Que proposez-vous en tant que professionnel pour sortir de cette situation au demeurant préjudiciable à l'économie nationale ? Je pense que la création de cette délégation à la place du ministère de la Poste et TIC, qui a montré ses limites, lui donner l'autorité nécessaire sur les différents ministères vue la transversalité des TIC et surtout la doter de jeunes compétences, tout cela pourra contribuer à sortir de cette situation et améliorer le classement de notre pays dans le domaine des TIC. Il est inconcevable, par exemple, de laisser la décision de la 3G entre les mains de personnes qui n'utilisent ni email, ni réseaux sociaux et n'utilisent le mobile que pour les appels téléphoniques et ne savent même pas rédiger des SMS avec. La 1G leur suffit et ça explique pourquoi ils n'ont pas besoin de 3G et ne voient même pas son utilité. Pour le haut débit, celui qui n'utilise pas internet ou en fait un usage limité ne voit pas l'utilité d'avoir un débit de 20 Mbps et choque les jeunes en leur disant que 1Mbps est largement suffisant! Alors, d'après le raisonnement de nos décideurs, le monde développé qui se lance dans le 100 Mbps et le 1Gbps fait du n'importe quoi et fait fausse route.
Dans le monde, il est admis que le financement des investissements dans les TIC nécessite la contribution des fonds à capital risque, où en est l'Algérie dans ce cadre? Le financement est lié à l'environnement global du secteur. Si on manque de vision et de visibilité, automatiquement les bailleurs de fonds ne vont pas prendre de risque pour soutenir les entreprises activant dans ce secteur. A titre d'exemple, certaines mesures ont été proposées dans le programme e-Algérie 2013 pour soutenir financièrement les investissements dans le domaine des technologies, la création d'incubateurs, des opérations de soutien aux start-up, les idées ne manquent pas mais c'est la mise en œuvre qui pose problème. Le Faudtic, un fonds créé dans le cadre d'une action du programme e-Algérie 2013, n'arrive pas à attirer les porteurs d'idées et de projets. Depuis sa création en 2009, une partie infime de ce fonds a été exploitée. J'ai participé en tant que membre de jury dans plusieurs concours et évènements type start-up weekend et je peux vous assurer que les idées existent et les compétences aussi, mais on a l'impression qu'il n'y a pas preneur et qu'on n'arrive pas à placer ces projets sur le marché bien que l'opportunité existe. Une vision globale menée par une jeune équipe managériale compétente est nécessaire pour entraîner tous ces acteurs dans un écosystème bénéfique pour tout le monde.
Quelle est votre vision pour l'avenir du secteur des TIC, à moyen et long termes ? Je crois que depuis des années, des audits ont été faits, des séminaires sont organisés, des recommandations ont été élaborées, des propositions ont été faites, des dizaines de rapports ont été rédigés, des discours de bonne volonté ont été lancés par les plus hautes autorités du pays sur l'importance qu'on doit donner aux TIC pour préparer, entre autres, l'après pétrole, mais malheureusement sur le terrain on est confronté aux mêmes problèmes et on est en face des mêmes constats. Plusieurs organismes internationaux classent l'Algérie dans le développement et l'usage des TIC parmi les derniers, derrière des pays avec des moyens et des ressources très limités. Il est nécessaire de faire un point d'arrêt et prendre les bonnes et courageuses décisions pour faire démarrer cette machine des TIC et essayer de combler le retard qu'a accusé notre pays depuis plus de vingt ans d'errance et d'instabilité, bien que des choses ont été réalisées, mais elles sont loin des capacités et des possibilités de notre pays. L'Algérie devra par la suite reprendre sa place de leader dans ce domaine, qu'elle a occupée aux débuts des années 70. Plusieurs pays arabes, africains et même européens envoyaient leurs étudiants apprendre l'informatique dans les universités algériennes dans les années 70, et sont devenus aujourd'hui nos fournisseurs en technologies et en solutions informatiques. Il est urgent que nos décideurs fassent confiance à nos jeunes compétences et qu'on leur donne leurs chances pour se prendre en charge et assumer leur avenir. Le secteur des TIC se portera mieux si on décide de nommer à sa tête un jeune d'une trentaine d'années. B. A. L'Algérie continue à afficher un faible effet de levier des TIC, selon le rapport du WEF Le rapport du World Economic Forum (WEF) publié en avril dernier, classe l'Algérie à la 131e place dans le classement mondial 2013 des TIC, après avoir occupé le 118e rang en 2012. Il souligne que la chute de l'Algérie «de 13 places, en une année, pour occuper le 131e rang, montre qu'elle continue à afficher un faible effet de levier des TIC, avec l'un des impacts les plus faibles mondialement sur le plan économique (143e place mondiale pour ce critère) et social (141e)». Le rapport précise que l'Algérie se classe respectivement à la 100e place sur la base du critère de l'usage individuel des TIC, à la 144e place dans leur usage dans le domaine des affaires, et à la 139e place dans leur utilisation dans la sphère institutionnelle et gouvernementale.
Le secteur des TIC en chiffres -Dans le cadre du quinquennal 2010-2014 une enveloppe de 150 milliards de dinars a été allouée par l'Etat pour le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication et le parachèvement des acquis des précédents plans, dont 100 milliards de dinars ont été consacrés à la mise en place de la gouvernance électronique e-gouvernance. -Le marché des technologies de l'information et de la communication (TIC) représente 4% du PIB, contre 8% en Tunisie et 12,5% au Maroc. -En 2011, l'Algérie a dépensé plus de 4,5 milliards de dollars dans le secteur des TIC. Le Maroc, lui, a dépensé plus de 13, 2 milliards de dollars. -Le chiffre d'affaires réalisé par le secteur des TIC en 2011 est estimé à 5,5 milliards de dollars.