Y a-t-il en Algérie une opposition, de simples opposants ou ni l'une ni les autres ? La question vaut aujourd'hui son pesant de dinars dépréciés au moment où la voie vers une réélection de l'actuel chef de l'Etat est aussi balisée qu'une piste d'aéroport. C'est l'évidence même, le pouvoir a l'opposition qu'il mérite ou qu'il s'est donné et l'opposition, elle, a le régime dont elle est digne. A l'ère du parti unique et de la police politique implacable, il y avait quand même une opposition digne d'être traquée partout où son pouvoir de subversion était jugé dangereux. Ce qui constituait un paradoxe. Aujourd'hui, à l'époque du multipartisme, même de façade, de l'Internet et de la mondialisation, on est plutôt en présence d'un kaléidoscope d'opposants, faute d'opposition structurée, audible et crédible. Ce qui est aussi un autre paradoxe. Dans l'état d'étiolement et de catalepsie où elle se trouve, l'opposition serait bien incapable d'empêcher la régénération du système politique. Le président Abdelaziz Bouteflika ou un autre candidat du pouvoir permanent pourrait alors représenter de nouveau le même régime et, sans coup férir, triompher sans qu'il y ait le moindre besoin de procéder à la distorsion de l'arithmétique électorale ! Sauf à perpétuer le jeu d'incantation et à faire de l'infantilisme sa marque de fabrique, l'opposition, tel un ours polaire, est condamnée à une longue hibernation politique. A faire, pour une durée indéterminée, le lit douillet d'un régime dont la vocation, semblable à celle de tous les pouvoirs de la terre, est de se perpétuer, y compris par les voies démocratiques les plus nettes. Alors, jusqu'à quand cette opposition, qui manque de maturité philosophique, qui n'a pas d'idées, de projet et de stratégie politiques, et encore moins de leader incontesté, pourrait-elle invoquer comme excuse que le pouvoir verrouille systématiquement la scène politique ? Comment alors incarner le changement et l'organiser quand elle est elle-même impuissante à se débarrasser de ses archaïsmes, de ses pesanteurs et de ce défaut rédhibitoire qu'est le zaïmisme dans sa version algérienne la plus antipathique ? En situation d'échec permanent depuis des lustres, elle est toujours dirigée par les mêmes personnes. Hétérogène, groupusculaire, divisée, inorganisée, elle vit dans le mythe de l'homme providentiel, incapable qu'elle est d'organiser en son sein l'alternance qu'elle reproche au pouvoir de refuser d'accepter. Les partis, autoproclamés démocrates et adeptes du putsch permanent, qui n'échappent pas à la règle, en sont l'exemple caricatural parfait. Incapable de la moindre autocritique, l'opposition, de quelque obédience qu'elle soit, est frappée de psittacisme politique : son seul point de convergence est en effet la dénonciation systématique du régime, à coups de communiqués et de postures sur Internet qu'on adopte comme on jetterait une bouteille à la mer. Finalement, le problème de l'opposition qui est aussi celui du pays, c'est que nos opposants croient que le simple changement à la tête de l'Etat suffirait pour incarner le changement. Ou, pis, qu'il suffirait d'opter pour la solution de la force. S'agissant de cette dernière, on sait où a mené le soulèvement militaire du FFS en 1963, comme on n'ignore pas non plus dans quelle impasse historique a abouti la violence terroriste prônée par les groupes radicaux et nihilistes islamistes. A défaut de se structurer, d'élargir ses bases, de revenir vers la société, de proposer des idées, de susciter le débat, de prendre régulièrement à témoin l'opinion publique nationale et la communauté internationale, de prendre des initiatives productives et constructives, de construire patiemment une alternative crédible, l'opposition apparaît aujourd'hui dans la position de celui qui attend Godot portant le képi de l'armée pour lui octroyer un pouvoir qu'elle n'a jamais été capable de conquérir par les idées et la lutte pacifique de tous les jours. . N. K.