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Mali : Une élection présidentielle au forceps
Le scrutin maintenu pour demain en dépit des irrégularités
Publié dans La Tribune le 26 - 07 - 2013

Demain, les Maliens se dirigeront vers les bureaux de vote pour élire un nouveau chef d'Etat pour les cinq ans à venir. Tel est le souhait de la France en dépit des menaces d'attentats, des imperfections et des irrégularités qui entacheront ce scrutin. En effet, les conditions pour que le vote se déroule dans de bonnes conditions sont loin d'être réunies mais Paris a tellement hâte de se débarrasser du boulet malien, devenu trop coûteux en ces temps de crise et de récession, qu'elle a insisté sur le maintien de la date du 28 juillet. François Hollande avait même clamé haut et fort, en mars dernier, que la France serait «intraitable» sur le respect du calendrier des élections au Mali. Le président français n'a plus de «sous» pour cette guerre qui coûte très chère au budget de la France qui subit de plein fouet la crise économique mondiale. Hollande sait qu'un retour à l'ordre constitutionnel est le seul moyen pour la France de partager le lourd fardeau de cette intervention. D'une part, il présagera la reprise rapide de la coopération et des mécanismes d'aides financières des bailleurs de fonds internationaux et d'autre part l'implication directe des Etats-Unis qui ne foulent jamais le sol d'un pays tant que le président de la République n'est pas démocratiquement élu.
La date du 28 juillet et la volonté française seront donc respectées mais les élections, elles, seront «imparfaites» comme l'a reconnu le Secrétaire général de l'ONU qui malgré cela les cautionne, laissant une fois de plus l'ONU servir d'écran de fumée aux intérêts français en Afrique. Il a ainsi déclaré lors d'un point de presse le 15 juillet «que les résultats -même si les élections peuvent être imparfaites- doivent être respectés par les parties, toutes les parties». Entre le respect de la volonté d'une puissance comme la France et l'avenir d'un pays africain qui peine à sortir du chaos, il semble que les priorités sont vites agencées. Les imperfections des élections présidentielles au Mali sont nombreuses. Il y a à titre d'exemple le fait que demain, ce ne sera pas tous les Maliens qui pourront voter. La raison ? Elle est technique et organisationnelle. La liste électorale, fondée sur le recensement de 2009, prive de vote les Maliens de 18 ans à 20 ans. La quasi-totalité des 500 000 réfugiés et déplacés par la guerre contre les groupes terroristes ne pourront, eux non plus, pas voter. L'administration malienne dit avoir distribué 82% des cartes d'électeurs sur l'ensemble du territoire. Au Nord, en plus du fait que le fichier électoral est obsolète, seulement 16% des habitants de Kidal ont eu leur carte. Ainsi donc, le prochain président malien sera un président «mal élu» et c'est ce qu'a refusé le candidat à la présidentielle Tiébilé Dramé, artisan en juin d'un accord de paix entre Bamako et la rébellion touareg, qui a ouvertement accusé la France d'ingérence et dénoncé avec fracas l'impréparation du scrutin en retirant sa candidature la semaine dernière. Mais les autorités françaises ont réponse à tout. Elles ont déjà admis que le taux de participation serait peu élevé. Le ministre Pascal Canfin l'assume : «Le taux de participation est traditionnellement faible dans le pays, oscillant entre 20% et 30% [il était en fait de 36% à l'élection de 2007]. (..) Si dans le contexte actuel, avec le très grand nombre de réfugiés et de personnes déplacées, on arrivait à 30%, ce serait un succès.» ! Ce succès est différemment apprécié puisque Pierre Boilley, directeur du Centre d'études des mondes africains (Cemaf), estime que «le prochain président malien sera mal élu, avec une proportion ridicule de votants. J'ai peur que l'élection tourne au fiasco. Mais tout va dépendre du degré de ce fiasco. Si le résultat est contesté mais que le perdant n'appelle pas à une sorte d'insurrection populaire, cela ne devrait pas poser de problème majeur. Il faudra également que le président élu ait assez de courage et d'autorité pour réconcilier le Mali».
Réconcilier le Mali est justement l'un des grands défis que devra relever le président élu. Ce dernier devra réussir la réconciliation entre le Nord et le Sud, la sécurisation du territoire pour ne pas avoir de sanctuaire terroriste au Nord, et le développement. Ce qui confirme que ce scrutin n'est pas une finalité mais une étape vers la reconstruction du pays. Une reconstruction qu'espère tant les Maliens dont la totalité est lasse et désabusée. Malgré ce désabusement, les Maliens gardent un certain espoir même s'il est entaché de doutes. Ils attendent avec une certaine fébrilité l'issue d'un scrutin dont ils mesurent, au fur et à mesure que l'échéance tant attendue se rapproche, l'importance pour l'avenir. Leur avenir. Ils attendent de cette élection qu'elle favorise la réalisation de nombreux objectifs dont la réconciliation des citoyens avec la politique ; la relégitimation des institutions, la restauration de l'autorité de l'Etat, le retour de la confiance et la reprise de la démocratie. Il faut dire qu'au bout de vingt années de pratiques démocratiques formelles, les Maliens n'ont ni réussi à instaurer les règles de bonne gouvernance souhaitées par le plus grand nombre ni favorisé une véritable participation citoyenne à la gestion.
Ainsi donc les attentes des 6,8 millions de Maliens appelés aux urnes sont immenses et l'un des 27 candidats à l'élection présidentielle aura la lourde charge de les satisfaire. D'ailleurs, la majorité des candidats ont mené campagne en promettant de répondre aux attentes citoyennes, d'assurer la sécurité et de reconstruire le Mali. Les images et les affiches et slogans affichés en sont la preuve: «Le Mali d'abord», «Mali, notre fierté», «L'honneur du Mali».
A la veille du premier tour, quelques noms sortent du lot parmi la pléthore de candidats inscrits. Soumaïla Cissé, 63 ans, ancien ministre des Finances et ex-président de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) de 2004 à 2011. Ce libéral a mené une
campagne de terrain dans tout le pays et mobilisé sur les thèmes économiques, promettant 500 000 emplois aux jeunes. «La question du Nord ne sera résolue qu'avec le lancement d'un plan Marshall en faveur de ces régions hostiles», explique-t-il, rejetant tout recours à la lutte armée. L'autre favori, Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK, 68 ans, est aussi un ancien Premier ministre et ancien président de l'Assemblée nationale. En ces temps troublés, il a fait recette sur une image d'homme à poigne. Il ne s'en cache pas : «Le Mali a besoin d'un homme d'Etat qui lui redonne sa fierté, sa grandeur et lui permette de reconquérir sa dignité», explique-t-il en cette fin de campagne. Keita était donné favori si les élections présidentielles avaient eu lieu en avril 2012. De nouveau en lice, les observateurs de la scène politique malienne voient en lui le candidat de la France. Modibo Sidibé, un autre poids lourd de la politique malienne, souffre d'avoir été le Premier ministre d'ATT jusqu'en 2011. Son handicap tient aussi du fait qu'il n'a pas de famille politique. Il a dû créer précipitamment un mouvement; il s'agit du Fare (Forces alternatives pour le renouveau et l'émergence). Quel qu'il soit, le futur président devra affronter des chantiers gigantesques : refonder l'armée et l'administration, réconcilier la population, négocier une paix durable avec les Touareg comme le prévoit l'accord de Ouagadougou du 18 juin. Pour Bamako et pour Paris, il est donc indispensable d'avoir un président bien élu, capable de sortir du régime de transition actuel. D'où l'extrême importance de la tenue au Mali d'élections régulières, crédibles et transparentes permettant de porter à la magistrature suprême un homme ou une femme véritablement issu du suffrage populaire et investi de la confiance de la majorité du peuple. Si le scrutin donne lieu à des tripatouillages et à des pratiques frauduleuses visant à détourner le vote des électeurs, il est à craindre que les objectifs de légitimer de nouveau des institutions publiques et de restauration de l'Etat ne soient durablement compromis.
H. Y.


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