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20 août 1955, le tournant de la guerre
Quand le peuple adoube le mouvement révolutionnaire
Publié dans La Tribune le 20 - 08 - 2013

L'histoire établit que les hommes créent les événements. Les évènements font les héros et ces derniers, morts ou vivants, vivifient l'histoire et l'immortalisent.
Une nation naît souvent dans la douleur et dans le sang. L'Algérie ne fait pas exception. Pour voir Juillet 1962, les Algériens ont dû passer par un long périple jalonné de répressions, de massacres mais aussi marqué de leur bravoure et du dénigrement de soi pour que leurs survivants puissent, un jour, respirer la liberté et la dignité tant convoitées. De ces journées terribles où se mêlent bravoure et barbarie, surgit le 20 août 1955. Mieux qu'une insurrection, plus qu'une offensive, plus qu'un soulèvement, le 20 août 1955 est indéniablement le tournant de la guerre de libération nationale. Le 20 août 1955 a transformé la révolution
algérienne, proclamée le 1er novembre, en une véritable guerre. Les multiples opérations d'insurrection synchronisées organisées et lancées par Zighoud Youcef, nouveau chef de la zone II après la mort de Didouche Mourad le 18 janvier 1955, avait pour objectif de généraliser la guerre d'indépendance conscrite jusqu'à cette date dans les Aurès mais surtout rassembler tous les Algériens autour de l'Armée de libération nationale pour faire face aux colonisateurs. Dix mois après le 1er novembre 1954, l'ALN, épaulée de la population, attaque simultanément plus d'une vingtaine d'agglomérations situées dans le Nord-Constantinois. Zighoud choisit la journée du samedi 20 août 1955.

L'heure… midi.
Pourquoi le 20 août à midi ? Pourquoi midi, à une heure brûlante où le soleil donne tous les vertiges et éclaire tous les recoins ? Que cherchait Zighoud Youcef Comment déclencher une insurrection généralisée avec seulement quelque 300 combattants et presque autant de fusils ? Avant la réunion organisatrice de l'événement à Zamne près de Collo, Chihani Bachir,
remplaçant à la tête de la Zone I (Aurès-Nemenchas) de Mostepha Ben Boulaïd, arrêté le 18 février 1955 à la frontière tuniso-libyenne, avait demandé dans un message à Zighoud d'intensifier les opérations dans le Nord-Constantinois pour
desserrer l'étau qui étranglait les Aurès pilonnés inlassablement par l'armée française qui pensait ainsi étouffer dans l'œuf la révolution armée. Le colonel Salah Boubnider témoignera plus tard : «Zighoud nous a informés de la demande de Bachir Chihani et nous avons discuté des mesures nécessaires pour soulager nos frères des Aurès.» Le colonel Boubnider rapportera dans ce sillage que «plusieurs propositions avaient été faites, allant des actions de sabotage aux attaques des trains qui approvisionnaient l'armée d'occupation avant de décider des opérations et de la date du 20 août». Zighoud Youcef fixe, alors, les objectifs, désigne les responsables et donne les instructions.
Sur son carnet sont inscrits les noms des villes et des villages où il faudra frapper : Skikda, Jijel, Collo, El Milia, Kroub, Guelma, Annaba, Azzaba, El Harrouch, Oued Zenati, Saint-Charles, Robertville, Aïn Abid, El Halia, Kellermann, Gallieni, Condé Smendou, Aïn Kechra. La liste donnait le tournis au fur et à mesure qu'elle s'allongeait... Si Zighoud voulait une vaste opération qui ferait autant de bruit sinon plus que celles du
1er novembre 54. Ses objectifs étaient clairs. Le chef de la zone II, avec son staff, voulait avant tout stimuler le moral du peuple par des actions d'envergure qui dépasseraient le harcèlement habituel des forces françaises. Des attaques qui prouveraient que des actions audacieuses étaient possibles sur toute
l'étendue du territoire national. Le choix de l'heure du début des opérations, soit midi, était destiné à frapper l'imagination de l'ennemi. Les actions devaient avoir lieu sur les sites militaires, couper les routes et les ponts pour arrêter les secours, ainsi que l'électricité et le téléphone dans les fermes et les habitations des colons. Intimider ces
derniers en leur montrant qu'ils étaient vulnérables et récupérer leurs armes pour qu'ils ne réitèrent pas la répression et les punitions collectives, de mai 1945. Zighoud et ses pairs voulaient également affaiblir les partis algériens en lice avec la ligne Soustelle et obliger les autres nationalistes à se rallier à la ligne et aux directives du FLN.
Ses attaques répondaient aussi à l'appel de Chihani et devaient permettre l'allègement de la zone des Aurès-Némencha de la forte pression exercée par l'armée française disposant de moyens humains et matériels considérables acheminés avec tout ce que cela compte en officiers fraîchement débarqués d'Indochine, et qui pensait ainsi étouffer dans l'œuf la révolution armée. Le chef de la zone ambitionnait de mettre en place un plan qui permettrait la mise en œuvre des actions militaires sur tout le territoire pour éparpiller les troupes françaises et faire jonction avec les Aurès et la Kabylie. Le choix du 20 août représentait aussi une opportunité politique pour marquer la solidarité des Algériens avec le peuple marocain. Cette date, le 20 août 1953, étant celle qui commémore la déposition du roi Mohammed V, et sa déportation, en 1954, en Corse, puis à Madagascar et les Marocains allaient organiser des manifestations à Oued Zem pour commémorer la déposition et l'exil de leur souverain. S'ajoutent à ces objectifs politiques et militaires, la consolidation de la victoire diplomatique de Bandœng du
18 mars 1955 et porter la cause d'indépendance algérienne sur l'arène internationale des Nations unies pour l'inscrire à l'ordre du jour et convaincre les amis et les alliés naturels de la cause algérienne de livrer les armes aux révolutionnaires. Réactiver la guerre de libération et mobiliser tout le peuple derrière le FLN-ALN pour sa propre libération. Zighoud ne se lassait de répéter à ses combattants : «Ce n'est pas à nous de libérer le peuple, nous ne faisons que l'organiser et l'encadrer, la responsabilité lui revient de se libérer lui-même.»
Malgré le rapport de force défavorable, les insurgés des agglomérations citées se sont attaqués aux militaires français
et les ont vaillamment combattus jusqu'à la mort.
Sur les 71 civils européens tués dans les villages d'El Halia, Aïn Abid, Ramdane Djamel et dans des embuscades sur les agglomérations et les routes, la réaction de l'armée coloniale et celle des colons sont vives,
brutales. Partout, les attaques sont stoppées sous le feu des armes automatiques. Les paras sont engagés dans d'immenses opérations de ratissage et, dans le même temps, l'autorité militaire semble débordée par les groupes de civils européens qui battent le pays à la recherche de militants algériens. L'armée française, sous la direction du sanguinaire Paul Aussares ramasse un important nombre d'hommes suspectés d'avoir participé aux opérations et les fait exécuter sans jugement. Du côté algérien, les officiels français annonceront 1 273 morts. Lakhdar Bentobbal, adjoint de Zighoud Youcef à
l'époque, indique pour sa part plus de 12 000 victimes de la répression féroce. «Le prix que nous avons payé était très lourd. Après le 20 août, pas moins de 12 000 morts ont été inscrits sur nos registres avec le nom et l'adresse de chacun d'eux, car leur famille devait recevoir une allocation. C'est la raison pour laquelle nous avons insisté pour que le recensement soit exact.» L'armée coloniale riposte avec promptitude. Comme en mai 1945, des milices civiles sont constituées, à l'appel du maire de Skikda Benquet-Crevaux, dont les cris passionnés de représailles constituaient de véritables appels au meurtre des Algériens. A Skikda seule, il y aura plus de 2 000 morts dans les quinze jours qui suivent le 20 août, si l'on en croit l'historien français Yves Courrière.
La répression s'est abattue indistinctement sur tous les Algériens et jusque dans les douars les plus éloignés des
évènements. «Tuer 12 000 ou 100 000 hommes ne représente rien pour le système colonial. Pour nous, c'était, sans doute,
le prix à payer pour voir Juillet 1962 et l'écroulement du colonialisme», disait le colonel Boubnider.
Au lendemain de ce nouvel épisode de la répression sauvage coloniale, un journal américain écrivait en grande manchette : «Les Algériens attaquent avec des pierres et des bâtons, la France répond avec des chars et des canons.» L'objectif était atteint. La zone II a brisé l'étau sur les Aurès et a fait échec au plan de Jacques Soustelle et à son programme d'intégration des musulmans algériens dans la République française. De très nombreux Algériens modérés, qui étaient restés jusque-là réfractaires aux thèses du Front de libération nationale, basculent du côté de leur révolution.
Un mois plus tard, soit le 30 septembre 1955, la question algérienne est inscrite à l'ordre du jour de l'ONU. L'armée française qui était dans les Aurès a fini par se retirer en nombre pour répondre à l'appel des colons qui exigeaient
des renforts.
La révolution devient véritablement une guerre d'indépendance, embrase toute l'Algérie et instaure l'insécurité dans toutes les villes. Dès le 23 août 1955, le gouvernement français décide le rappel du demi-contingent libéré en avril et le maintien sous les drapeaux du premier contingent de 1954.
Le processus de guerre est dès lors enclenché. Aux yeux de tous, rien ne pouvait plus être comme avant, car la révolution est devenue une guerre populaire nationale et elle a atteint un point de non-retour.
G. H.


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