De notre correspondant à Tizi Ouzou Malik Boumati Il est naturel que l'on trouve cela paradoxal, mais l'ouverture d'octobre 1988, qualifiée trop vite de démocratique, a eu l'effet inverse sur certains aspects de la vie nationale, particulièrement culturelle. Et dans le secteur de la culture, les textes engagés orientés depuis les années du parti unique vers la revendication et la protestation ont reçu un sacré coup qui a banalisé le concept même de la culture engagée, représentée surtout par la chanson, qui a connu ses heures de gloire durant les années quatre-vingt. Ceux qui se rappellent les textes du groupe Debza, de Imazighen Imoula, de Matoub Lounes, et, avec plus de nuances et de poésie, ceux d'Aït Menguellet, ressentent certainement une grande nostalgie, tellement il ne reste de ces paroles d'artistes que le souvenir d'un passé «glorieux» du côté de l'opposition. La Kabylie en général et la wilaya de Tizi Ouzou en particulier étaient à cette époque à l'avant-garde du combat pour la démocratie et de la liberté, bien alimenté par la revendication amazighe. Une situation encouragée par l'absence de pratique démocratique, sous le règne du parti unique FLN et quand un discours, quelle que soit sa source (chanson, théâtre, essai…), diffère du discours officiel ambiant, il était évident que cela plaise aux populations avides d'un peu de liberté de ton et de discours qui traduisent un tant soit peu leurs préoccupations et leurs espoirs. Mais avec l'avènement du 5 octobre 1988 et les «réformes» qui s'ensuivirent, la situation politique a connu un chamboulement extraordinaire à partir du moment où, pour la première fois depuis l'indépendance, le peuple algérien était «autorisé» à formuler des critiques à l'égard du pouvoir et de tous les responsables du pays, que ce soit au niveau local, régional ou national. Désormais, les artistes engagés et les militants politiques n'avaient plus le monopole de la critique envers les pouvoirs publics. Au fil du temps, le contenu du discours politique d'opposition sera galvaudé et vidé de sa substance, surtout que, parfois, même des gens du système développent des discours d'opposition qui laissent les vrais opposants sans voix. Les textes des œuvres d'art ne seront pas en reste puisqu'ils seront réduits comme peau de chagrin et c'est sans surprise que les chansons festives et les pièces de théâtre comiques prendront le dessus sur les chansons à texte et les œuvres théâtrales contestataires et critiques. Il est vrai que, ces dernières années, même les plus résistants des hommes de culture engagés ont fini par comprendre que la population, tournée plutôt vers les œuvres festives et rythmées, a les yeux et les oreilles rivés ailleurs que vers leurs créations, si extraordinaires soient-elles. Du rythme et du texte gai, à apprécier lors des fêtes et autres soirées dansantes, voilà ce qui est écouté, aujourd'hui, par une jeunesse qui ne croit plus aux discours revendicatifs et contestataires. Seul Lounes Matoub survivra au rouleau compresseur de la culture festive et folklorique durant les années quatre-vingt-dix et il survivra même à sa propre mort, suite à son assassinat en juin 1998. Force est de conclure que la culture engagée, si elle n'est pas morte, se trouverait dans un état d'agonie effective, en attendant une nouvelle ère qui pourrait la ressusciter. Et c'est l'ouverture «démocratique» ayant suivi les événements tragiques du 5 octobre 1988 qui est à l'origine de cette mort prématurée de la culture engagée.