L'Eufor, la force européenne déployée pendant un an au Tchad et en Centrafrique, a passée, hier, le flambeau à l'ONU dans un contexte régional très tendu, marqué par la dégradation des relations entre le régime soudanais voisin et la communauté internationale. Le passage de relais officiel se déroule dimanche matin à Abéché, dans l'est du Tchad, en présence notamment du chef de la diplomatie française Bernard Kouchner, dont le pays a été à l'initiative d'Eufor et a fourni près de la moitié des 3.300 hommes déployés sur le terrain. "Il n'y aura pas de vide avec le départ des troupes de l'Eufor", a déclaré M. Kouchner samedi, faisant part de toute sa confiance dans les troupes de la Minurcat, à sa sortie d'un entretien avec le président tchadien Idriss Deby Itno. Conçue pour limiter les répercussions du conflit du Darfour (ouest du Soudan) dans les deux pays frontaliers, l'Eufor avait pour mandat principal de protéger les réfugiés du Darfour ainsi que les déplacés internes tchadiens et centrafricains, soit plus de 450.000 personnes. Elle devait aussi faciliter le travail des humanitaires et assister 300 policiers de l'ONU dans la région. L'Eufor est relevée par une force de l'ONU (Minurcat) de 5.200 hommes, même si, concrètement, quelque 2.000 soldats européens resteront encore plusieurs mois sur le terrain, sous le béret de l'ONU, en attendant notamment l'arrivée de forces africaines et népalaises. Qualifiée de "succès" par l'Union européenne, saluée par des responsables onusiens pour sa souplesse et sa capacité de réaction rapide, et créditée par des acteurs locaux d'un fort effet dissuasif sur les bandes criminelles qui écument la région, Eufor laisse cependant la place à un moment particulièrement délicat. Le mandat d'arrêt lancé début mars par la Cour pénale internationale contre le président soudanais Omar el-Béchir, accusé de crimes de guerre et crimes contre l'humanité au Darfour, a encore accru l'hostilité de Khartoum vis à vis de la communauté internationale. Et la première riposte du régime soudanais, l'expulsion de 13 ONG internationales du Darfour, fait craindre un nouvel afflux de réfugiés vers le Tchad et la Centrafrique, déjà déstabilisés par le conflit au Darfour. "Nous prenons le relais dans un contexte très tendu, on ne peut pas exclure que des réfugiés supplémentaires franchissent la frontière" du Soudan, concède le secrétaire général adjoint des Nations unies aux opérations de maintien de la paix, Alain Le Roy, exprimant des craintes largement partagées. Des sources diplomatiques occidentales et gouvernementales tchadiennes envisagent également l'éventualité de nouvelles attaques de rebelles tchadiens, soutenus et équipés par le Soudan, et désormais réunis dans une structure unique, l'Union des forces de la résistance (UFR), depuis janvier. En février 2008, une attaque rebelle contre la capitale tchadienne avait fait vaciller le régime du président Idriss Deby. "Il n'y a jamais de bon moment" dans la région, a souligné samedi Bernard Kouchner, en rappelant que la situation était déjà très volatile il y a un an, et en insistant sur le fait qu'il n'y avait "pas de vide" entre la fin de l'Eufor et le début de la Minurcat. Pour le ministre français, la force européenne a accompli sa mission, et son existence même constitue "une récompense pour l'Europe". Malgré plusieurs mois de retard et quelques réticences dont l'Allemagne et la Grande-Bretagne, l'Eufor a finalement rassemblé 23 pays de l'UE ainsi que l'Albanie, la Croatie et la Russie. "Cette mission a véritablement apporté un élément de sécurité important. Elle est aussi le symbole de l'implication, du développement et de la maturité nouvelle de la politique européenne de sécurité et de défense", estimait récemment le conseiller de M. Kouchner, Eric Chevallier.