Bousculée par l'ampleur des préoccupations environnementales, la communication des marques entreprend une mutation tâtonnante. Des enfants qui jouent dans le jardin d'une maison cossue, des flocons de neige qui semblent tomber au ralenti... Et tout au fond, tapie dans le garage comme un fidèle chien de garde, une grosse berline noire. Elle sort du garage, s'engage lentement sur la route et les flocons s'évanouissent peu à peu, comme par enchantement. Signé Mercedes et diffusé à la télévision depuis le 10 février, ce spot onirique est d'abord destiné à mettre en avant la sécurité de la Mercedes E via le système 4 Matic, une sécurité telle que les difficultés liées aux conditions climatiques s'envolent littéralement. Plus tactiquement, ce spot de trente secondes réalisé par CL/BBDO intervient à un moment où la marque, talonnée par Audi, souhaite réaffirmer sa valeur ajoutée en matière de technologie, mais en incluant dans son message une dimension émotionnelle qui lui faisait défaut jusqu'ici. Logée sur la niche privilégiée des voitures de prestige, Mercedes a, certes, réalisé en 2006 " une année record avec 60.000 véhicules vendus ", selon Marie-Pierre Benitah, directrice générale, et Guillaume Talon, directeur commercial de CLM/BBDO. Mais le constructeur allemand évolue aussi dans un contexte global de crise d'image de l'automobile et de chute des ventes, qui l'amène à veiller, avec un soin redoublé, sur ses messages publicitaires, identique en cela à tous ses concurrents pour lesquels la communication s'est muée ces dernières années en un vecteur particulièrement sensible, en proie à une mutation tâtonnante.
Nouveaux arbitrages En 2006, les ventes de voitures neuves ont en effet baissé de 3,3 % et sont tombées à leur plus bas niveau.. Victime des nouveaux arbitrages des consommateurs, l'automobile a pâti, pour une part, de la poursuite de la hausse des prix de l'immobilier et, dans une moindre mesure, d'un " effet Coupe du monde " qui a incité les ménages à s'équiper en téléviseurs haut de gamme. Parallèlement, les recettes publicitaires traditionnelles qui assuraient jusqu'ici le succès des modèles se sont usées. " Les marques automobiles ont perdu majoritairement leur côté "statutaire", estime Georges Lewi, directeur du BEC Institute et spécialiste des marques. Alors que dans les années 1970, une voiture pouvait atteindre de trois à quatre ans de salaire, aujourd'hui, il est possible d'acquérir un bon modèle pour 10.000 euros, soit six mois d'un salaire moyen. Par conséquent, le simple fait de posséder une voiture a cessé de traduire et de valoriser un statut social. " La pin-up appuyée voluptueusement contre une berline coûteuse et rutilante a donc du souci à se faire. Mais " la voiture à vivre ", sorte de " maison roulante " que popularisa Renault dans les années 1990, aurait aussi du plomb dans l'aile : " La voiture a cessé d'avoir le monopole de la mobilité : les nouvelles technologies, avec le téléphone portable, l'iPod... se sont emparées de ce concept ", analyse Raphaël de Andreis, directeur général de BETC Euro RSCG, responsable de Peugeot. Car le consommateur nouveau a évolué. Il regarde son environnement proche avec un oeil neuf. Les débats sur le réchauffement climatique, les questionnements répétés des médias et jusqu'au film militant d'Al Gore, l'ex-vice-président des Etats-Unis, sont passés par là. " La politique écologique commence à avoir une influence dans les grands centres urbains ", indiquait au début du mois (*), dans " Aujourd'hui en France ", Christian Gerondeau, patron de la Fédération des automobile-clubs, en commentant la chute des immatriculations. De là à en déduire que la communication devrait se centrer sur le seul message écologique, il y a un pas... que les agences seraient pourtant bien avisées de ne pas franchir sans réfléchir. Car le consommateur lui-même n'a pas achevé sa mue. " On relève un paradoxe entre la préoccupation croissante des Français pour l'environnement, le fait qu'ils admettent que la voiture pollue et leur refus d'y renoncer, souligne Marie-Pierre Benitah. Notre enjeu est de parvenir à jongler avec ces aspirations contradictoires. " Raphaël de Andreis enfonce le clou : " L'automobile est au premier plan des mutations actuelles, estime-t-il, et va devoir réinventer sa communication en plaçant les enjeux écologiques au coeur de ses messages. Ce sera même le défi majeur de notre métier dans les prochaines années, compte tenu de l'importance des investissements en jeu qui dominent largement les autres catégories. "
Aspirations contradictoires Mais pas question de jeter le bébé avec l'eau du bain et de culpabiliser indûment le conducteur. " Le grand défi, juge-t-il, va être de parvenir à articuler harmonieusement deux axes fondamentaux : la responsabilité environnementale et le plaisir de conduire. Pendant très longtemps, Peugeot s'est contenté de communiquer sur le plaisir de la conduite, tout en agissant, sans médiatisation, sur la "propreté" de ses modèles. Aujourd'hui, nous parlons des deux et il est probable que les grands constructeurs allemands, dont le socle de communication reposait jusqu'ici sur la puissance de leurs moteurs, auront à effectuer des repositionnements majeurs. " Même si ces derniers y vont sur la pointe des pieds, peu soucieux de décourager leurs consommateurs, passionnés d'automobile et peu prêts à y renoncer. " Il y a dix ans, intervient François Michel, responsable du budget BMW chez TBWA, BMW a lancé un programme - "Efficience Dynamics" - dont l'objectif est de produire des voitures moins polluantes, notamment grâce à des modèles fonctionnant à l'hydrogène. Leurs performances sont exactement équivalentes à celles des modèles classiques. Pourtant, compte tenu de la cible à laquelle nous nous adressons, nous allons continuer d'axer la communication sur le plaisir de conduire. La pollution va prendre de l'emphase dans les messages publicitaires de la marque, mais l'accent mis sur les caractéristiques des produits continuera d'être essentiel. "
A partir de là, quelle martingale jouer ? Sur un marché où les spécificités des modèles ont tendance à s'émousser et où le design prend une place prééminente, l'objectif clef commun à la plupart des marques demeure alors le même : " Créer de la différence, assène Georges Lewi. Chaque constructeur est à la recherche de gammes suffisamment larges pour engranger du volume, mais il est également en quête du petit plus, de la valeur ajoutée qui offrira au conducteur la sensation de conduire la voiture que tout le monde n'a pas. C'est la martingale à laquelle chacun rêve car elle permettra de rafler la mise. "