Un contentieux portant sur près de deux millions d'électeurs contestés menace de retarder une nouvelle fois de plusieurs mois l'élection présidentielle en Côte d'Ivoire, estime-t-on de source diplomatique à Abidjan. Les principales factions politiques du pays reconnaissent d'ores et déjà que l'échéance du 29 novembre n'est pas tenable pour cette élection censée tourner la page de la guerre civile déclenchée en 2002 par un coup d'Etat raté qui a coupé le pays en deux. Mais la commission électorale n'a pas encore officialisé ce très probable nouveau retard, provoqué par des contestations du camp du président sortant Laurent Gbagbo quant à la capacité à voter de 1,9 millions d'électeurs considérés d'une "ivoirité" douteuse. Le Front populaire ivoirien (FPI) du chef de l'Etat, qui fait campagne de longue date sur une ligne ultranationaliste, exige que des électeurs doivent d'abord faire certifier leur nationalité par la justice avant de pouvoir rejoindre les 4,3 millions de citoyens dûment enregistrés sur les listes. Une telle procédure concernant un si grand nombre d'électeurs prendrait au moins trois mois, estime Rinaldo Depagne, analyste à l'International Crisis Groupe. Il faut en effet respecter un délai d'un mois avant d'officialiser une liste de votants. Si, comme c'est probable, l'échéance du 29 novembre n'est pas respectée, ce sera la cinquième fois que l'élection présidentielle sera reportée depuis l'expiration du premier mandat officiel de Gbagbo, en 2005. La prolongation de cette situation de ni-guerre ni-paix dans le premier pays producteur mondial de cacao, semble profiter à tous les camps, mais elle est grosse de dangers pour l'unité du pays. Selon des experts de l'Onu, aussi bien le camp présidentiel que les "Forces nouvelles" - les ex-rebelles du Nord - ont entrepris de se réarmer malgré l'embargo qui frappe le pays et une reprise des violences n'est pas à exclure. Même si le calme semble globalement prévaloir, des signes de tensions apparaissent et certains leaders d'opposition accusent Laurent Gbagbo d'abuser des moyens d'information d'Etat et de se préparer à réprimer militairement tout mouvement de protestation. La controverse sur l'"ivoirité" de certains électeurs accroît les risques d'escalade. Selon Martin Bohui Skouri, responsable des élections au FPI, la plupart des 1,9 million d'électeurs contestés sont fictifs. Le Rassemblement des républicains (RDR) de l'ancien Premier ministre et leader d'opposition Alassane Ouattara, lui-même longtemps empêché de se présenter à la présidence pour "ivoirité douteuse", a mis en garde contre cet ostracisme. "Il est choquant que nous retombions dans la même thématique alors que nous sommes censés surmonter la crise", déclare Mandou Sanogo, responsable des élections au RDR. La mission des Nations unies en Côte d'Ivoire souhaite que le président burkinabé Blaise Compaoré, qui a déjà joué les médiateurs entre les diverses factions, intervienne de nouveau mais celui-ci souhaite que les Ivoiriens règlent leurs problèmes entre eux. Pour Rinaldo, la controverse sur les électeurs fait l'affaire du camp Gbagbo, qui joue la carte nationaliste, comme des anciens rebelles qui peuvent arguer de l'exclusion de leurs électeurs pour ne pas désarmer et conserver la haute main sur leurs trafics lucratifs dans le Nord. "C'est une très bonne nouvelle pour les radicaux des deux camps. C'est pourquoi il faut que cela soit résolu au plus vite", souligne-t-il.