Le séisme qui a dévasté Haïti le 12 janvier dernier, faisant plus de 200.000 morts et 1,3 million de sans-abri, pourrait permettre à l'agriculture locale d'amorcer une renaissance, après avoir été presque entièrement annihilée par une longue politique d'importations et d'aides alimentaires aujourd'hui remise en question. La dépendance alimentaire de Haïti vis-à-vis de l'étranger est importante: selon les chiffres les plus récents du gouvernement haïtien, datant de 2005, 51% des produits alimentaires consommés sur l'île sont importés; le taux atteint même 80% pour le riz, qui provient essentiellement des Etats-Unis. "L'aide alimentaire combinée à des importations bon marché (...) ont empêché des investissements suffisants dans l'agriculture haïtienne, et cette tendance doit être inversée", souligne le secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires de l'ONU, John Holmes, dans un entretien à l'Associated Press. Bien que cette politique alimentaire soit critiquée depuis des années dans le milieu humanitaire, ce n'est que très récemment certains dirigeants mondiaux ont pris conscience du problème, reconnaissant que la levée des barrières commerciales n'avait fait qu'exacerber la faim à Haïti et dans d'autres pays en développement, qui ne peuvent plus assurer leur autosuffisance alimentaire. L'ancien président américain Bill Clinton, aujourd'hui envoyé spécial de l'ONU pour Haïti, a ainsi présenté des excuses publiques pour avoir soutenu des politiques qui, dans les années 1990, ont détruit la production rizicole haïtienne en poussant ce pays à abaisser fortement ses tarifs douaniers sur le riz américain. "Cela a peut-être fait du bien à certains de mes fermiers en Arkansas (l'Etat dont M. Clinton est originaire, NDLR), mais cela n'a pas marché. C'était une erreur", a-t-il reconnu devant la commission des Affaires étrangères du Sénat américain le 10 mars. M. Clinton est attendu lundi à Port-au-Prince, alors qu'une conférence des donateurs se tiendra le 31 mars au siège des Nations unies, à New York. L'aide apportée à Haïti pourrait lui permettre de relancer sa production agricole sur le long terme, en réparant les dégâts causés par le séisme, mais aussi en finançant la modernisation des systèmes d'irrigation et des infrastructures ou la formation des agriculteurs, notamment. Le gouvernement haïtien réclame 722 millions de dollars (534 millions d'euros) pour son agriculture, sur une enveloppe globale de 11,5 milliards de dollars (8,5 milliards d'euros). Le président René Préval, agronome de formation, appelle aussi à un arrêt de l'aide alimentaire en faveur d'investissements dans le secteur agricole. Sur les marchés, qui ont rouvert depuis le séisme, les Haïtiens continuent pourtant à acheter du riz américain, meilleur marché. "Le riz national n'est pas le même, il est de meilleure qualité et a meilleur goût. Mais il est trop cher", déplore Léonne Fedelone, une marchande de 50 ans. L'importation massive de produits alimentaires a poussé de nombreux agriculteurs, incapables de rivaliser avec les milliards de subsides alloués par Washington à ses producteurs, à quitter leurs terres pour s'installer dans des villes surpeuplées. D'autres ont opté pour des cultures, comme celle du haricot, qui accélèrent l'érosion des sols et favorisent les inondations. Les importations exposent également le pays aux variations des prix des produits alimentaires: le Premier ministre Jacques-Edouard Alexis avait été destitué en 2008 à la suite d'"émeutes de la faim" qui avaient éclaté après une forte augmentation du prix du riz. Un scénario qui pourrait se reproduire aujourd'hui: le riz a augmenté de 25% depuis le séisme, et son prix pourrait être plus élevé encore sans l'aide alimentaire envoyée sur l'île après la catastrophe, estime un analyste du Programme alimentaire mondial (PAM), Ceren Gurkan. Notons qu'une bonne partie des fonds promis par le G8 aux agriculteurs des pays pauvres pourrait aller à Haïti. En effet, en juillet 2009, les chefs d'État du G8 avaient promis 20 milliards de dollars aux agriculteurs des pays pauvres. Jacques Diouf, le directeur général de la FAO, qui a préparé un plan de relance de l'agriculture haïtienne avec le gouvernement pense qu' il serait bon qu'une partie de ces fonds aillent à Haïti. Car, comme l'explique au Monde un représentant d'une "petite communauté d'agriculteurs nichée sur les hauteurs de Léogâne", il se joue dans les campagnes "un drame aussi grand que le tremblement de terre". Le quotidien détaille les urgences pour "les petits agriculteurs, qui représentent 60% des emplois haïtiens" : "en plus de leur pauvreté structurelle, de la perte de leur maison et parfois de leurs stocks, ils ont dû accueillir des réfugiés de Port-au-Prince qui ont doublé, triplé, parfois quadruplé le nombre de bouches à nourrir par foyer, asséchant leurs réserves et leurs économies, les forçant à abattre les éventuelles vaches ou chèvres en leur possession, mangeant jusqu'aux semences engrangées pour la prochaine saison."