Les deux films sont arrivés discrètement, l'un dans une clé USB, l'autre sous forme de dvd. Ils ont fait le voyage depuis Téhéran jusqu'au bureau parisien du Festival de Cannes. Le premier est coréalisé par Jafar Panahi et Mojtaba Mirtahmasb. Le second est signé Mohammad Rasoulof. Depuis un an, Panahi et Rasoulof sont devenus les emblèmes de la répression artistique en Iran : les deux cinéastes ont été arrêtés le 1er mars 2010, soupçonnés de préparer un film hostile au gouvernement, après la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad, en juin 2009. En décembre 2010, ils ont été condamnés à six ans de prison assortis de vingt ans d'interdiction de filmer et de quitter le territoire. Motif : "Participation à des rassemblements et propagande contre le régime." Tous deux ont fait appel. Ces derniers mois, chacun a pu tourner un film, dans des conditions encore à éclaircir. Ils seront montrés à Cannes, du 11 au 22 mai : Ceci n'est pas un film, de Panahi et Mirtahmasb, sera présenté en séance spéciale, alors qu'au Revoir, de Rasoulof, s'ajoute à la sélection d'Un Certain Regard. "Le film de Panahi est son journal de bord, il raconte sa vie durant ces derniers mois, confie Thierry Frémaux, délégué général du festival. Durant 75 minutes, on voit un homme de conviction, qui assume son destin, mais on sent aussi le réalisateur inquiet. Celui de Rasoulof est une fiction de 1 h 40, l'histoire d'une jeune femme, avocate, interprétée par Leyla Zareh, qui cherche à quitter l'Iran et subit tous les tracas administratifs. C'est un film urbain, absolument magnifique." "Panahi et Rasoulof sont cinéastes, leur geste nous dit qu'ils ne peuvent pas s'empêcher de tourner, poursuit Thierry Frémaux. Si nous avons retenu ces deux films, c'est avant tout parce qu'ils sont très beaux. Mais les programmer a du sens, évidemment : que Panahi et Rasoulof les adressent à Cannes, en même temps, la même année, alors qu'ils connaissent la même infortune est un signe très fort : Cannes comme institution internationale qui les protège, la communauté mondiale du cinéma comme une sorte de fraternité allant de soi." MOBILISATION La mobilisation en leur faveur n'a jamais faibli. Il y a un an, le Festival de Cannes invitait Panahi, alors emprisonné, à faire partie du jury - le cinéaste a été libéré sous caution le 25 mai après une détention de trois mois et une grève de la faim d'une semaine. La Mostra de Venise et le Festival de Berlin ont fait de même. Jafar Panahi, 50 ans, est l'une des figures les plus influentes de la nouvelle vague iranienne : ses films pointent les inégalités et l'absence de liberté en Iran. Interdits dans son pays, ils sont régulièrement primés en festivals : Caméra d'or à Cannes en 1995 pour Le Ballon blanc ; Lion d'or à Venise en 2000 pour Le Cercle, Ours d'argent à Berlin en 2006 pour Hors jeu, etc. Plus jeune (né en 1973), moins connu mais tout aussi critique à l'égard du régime, Mohammad Rasoulof a réalisé six courts-métrages avant The Twilight, son premier "long", en 2002. Ont suivi La vie sur l'eau, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, en 2005, La Parabole (2008), documentaire sur l'ingéniosité des Iraniens pour capter les chaînes étrangères interdites, puis The White Meadows (2009), où le personnage principal vogue sur un vaste lac pour récolter, année après année, les larmes des habitants.