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Œuvre de Frantz Fanon: Une balise pour comprendre le monde d'aujourd'hui
Publié dans Le Maghreb le 08 - 07 - 2012

Lors du colloque international qui lui a été consacré ces derniers jours à Alger, les mises en garde de Frantz Fanon sur les risques de faillite des projets nationaux après les indépendances et le retour du colonialisme sous de nouvelles formes, l'actualité et le caractère visionnaire de la pensée du militant de la cause algérienne , ont été mises en avant. Ecrivains d'Afrique et intellectuels d'Asie ont, pour l'occasion, revisité Fanon à la lumière de la crise financière mondiale et ses conséquences sur les couches sociales les plus démunies ainsi que sur les révoltes dans le monde arabe, convoquant l'apport de la pensée de Fanon pour répondre aux défis d'un monde globalisé où l'oppression perdure. Mireille Fanon Mendès-France, fille du penseur a, lors de la première journée du colloque, estimée que le rapport de domination, mis en avant par le psychiatre , trouvait aujourd'hui sa continuité dans ce qui est appelé " l'échec relatif " des indépendances, " entretenu " par les occidentaux en raison de méthodes de "déstabilisation" et de la présence dans ces pays de "supplétifs locaux de l'ordre colonial" sous la forme d'une "bourgeoisie nationale" contre lesquels Fanon avait mis en garde. De son côté, l'économiste égyptien Samir Amin est revenu, sur la notion de "dépossession" chez Fanon, caractéristique du système colonial et de sa forme actuelle, l'impérialisme, basé sur la "dépossession des pays périphériques" par l'exploitation des ressources au détriment des peuples. Une communication du penseur libanais Georges Corm, a été lue à l'assistance lors de la deuxième journée et dans laquelle ce dernier a attiré l'attention sur les tentations de "retour vers le passé" des mouvements islamistes qui seraient, selon le penseur, l'expression d'une "altérité artificielle", alors que Fanon proposait une "altérité plus radicale" dans sa conception de la libération des peuples colonisés, passant par la "construction" d'une "conscience nationale". L'égyptien Helmy Shaaraoui et non moins universitaire, est revenu quant à lui, sur les évènements de la Place Tahrir au Caire, ainsi que les divers mouvements de protestation à travers le monde, en s'appuyant sur les concepts de Fanon de "violence" et de "spontanéité", développés dans "Les Damnés de la terre". Il a souligné la transformation de la "violence coloniale" reprenant le concept de "soft power", utilisé par les analystes pour qualifier les méthodes néo-coloniales d'oppression et d'exploitation, dont l'aide humanitaire et l'hégémonie médiatique en sont l'expression. Lors de la troisième journée, les intervenants ont tenu à rappeler que la pensée de Frantz Fanon était inséparable de son militantisme, soulignant au passage, que les différentes interprétations de l'oeuvre du psychiatre avaient séparé sa pensée de son engagement pour l'indépendance des pays colonisés et privilégié des approches pluridisciplinaires ainsi que des grilles de lecture d'inspiration européenne. Pour l'universitaire égyptien, Mohammed Hafez Dyab, les travaux de recherche sur Fanon sont dominés par deux approches, à savoir une lecture "conceptuelle" analysant séparément le thème de la violence ou de l'aliénation, et une lecture "référentielle" s'attachant à trouver chez Fanon les influences de penseurs à l'image de Marx, Luckas... Ces approches ne prennent pas en compte son "dynamisme", lié, selon le même conférencier, au fait que son oeuvre a été "écrite dans l'urgence" de la guerre de libération de l'Algérie, dans laquelle le psychiatre était engagé. Enfin, le sociologue Algérien Lyes Boukra a tenté de cerner, à la suite de Fanon, les signes de la "mésaventure de la conscience nationale" après l'indépendance, estimant que les revendications identitaires au lendemain l'indépendance "se sont faites au détriment de la conscience nationale" et voyant dans ces dernières, un "risque de régression" vers des formes "infra politiques", comme le "régionalisme" ou l'"obscurantisme", reprenant à son compte les mises en garde de Frantz Fanon, mises en relief par de nombreux intervenants au colloque depuis son ouverture.
L'histoire comme matière première du romancier
Toujours dans le cadre des rencontres "Esprit Frantz Fanon", cinq romanciers ont préconisé de traiter le passé colonial de leurs pays, en tant que matériau de base devant cimenter la littérature. Le romancier malgache Jean-Luc Raharimanana qui a présenté un diaporama de photographies d'archives de l'armée française autour de la révolution malgache et des massacre de mars 1947, a rappelé que dans ses écrits qui traite de l'aliénation, Frantz Fanon a soulevé la relation entre le colonisateur et le colonisé qui favorise l'infantilisation des témoignages des peuples colonisés qui décrédibilise les récits historiques. Le rapport du romancier à l'histoire coloniale et sa manière de la traiter a été abordé par le romancier guinéen Tierno Monénembo qui rappelait que la mémoire est plurielle et que le façonnage du passé est le matériau de base de toute les littératures modernes. C'est pour cela que l'écrivain ne doit pas se contenter de rejoindre le peuple dans le passé mais il doit retravailler ce dernier et réécrire l'histoire à sa manière sans la falsifier pour autant, puisque selon lui "la mémoire trafiquée est un élément clé dans la politique moderne des pays d'Afrique" qui conduit le colonisateur à renier ses actes et à faire "l'apologie d'une colonisation positive". Il a par ailleurs abordé le racisme entre les pays africain qualifié "d'essentiel à la machine coloniale" par Frantz Fanon en appuyant ses propos par la perception actuel des algériens malgaches ou autres des "tirailleurs sénégalais" qui n'étaient pourtant pas commandés par l'actuel Sénégal mais envers qui on continue à nourrir une certaine haine. Comme pour tout les citoyens, le passé reste une perception personnelle pour le romancier aussi selon la romancière indienne Ghita Hariharan qui prône la sauvegarde du passé et l'actualisation continuelle des perceptions. Revenant sur ce thème le jeune écrivain algérien Yabrir Smaïl a rappelé que sa génération "entretenait des rapports équilibré d'Etat à Etat avec la France épurés de la haine du passé coloniale surtout après la coupure des années 90". Le romancier camerounais Eugène Ebodé s'interrogeait quant à lui sur la façon de passer du statut de colonisé au statut d'homme libre après avoir franchit tout les handicapes des nouvelles indépendances prédits par Frantz Fanon dans "Les damnés de la terre". Selon lui, le rôle de l'écrivain est de faire passer les peuples du statut de damné de la terre à celui d'homme libéré de "la culture, architecture, mœurs et comportement imposés que Guy de Maupassant décrivait -d'actes à contre sens de la terre elle-même".
Cependant, l'auteur n'a pas omis de rappeler que l'écrivain n'est pas pour autant historien...


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