Entre investir dans le nucléaire ou dans le gaz de schiste, la Pologne pourrait bientôt devoir choisir alors que les experts estiment qu'elle n'aura pas les moyens de s'offrir ces deux programmes à la fois. Krzysztof Kilian, patron de Polska Grupa Energetyczna (PGE), grand holding engagé dans le nucléaire et le gaz de schiste, a jeté cette semaine le pavé dans la mare. Ces deux programmes à la fois ne peuvent être couronnés de succès. L'un exclut l'autre, a-t-il lancé. On ne peut avoir à la fois la circulation à droite et la circulation à gauche, sans graves conséquences, a-t-il ajouté lors d'un débat d'experts sur l'énergie. Le Premier ministre polonais Donald Tusk a tenu à remettre les choses au clair jeudi. Pour le gouvernement polonais, le nucléaire et bien sûr les investissements dans le gaz de schiste, restent des priorités. Rien n'a changé à cet égard, a déclaré le chef du gouvernement. Réagissant aux propos tenus par M. Kilian, il a souligné qu'il s'agissait d'une déclaration d'un chef de société, et non pas d'un ministre ou du chef du gouvernement. La Pologne, pays de 38,2 millions d'habitants, produit environ 90% de son électricité à partir du charbon, ce qui en fait un des pays de l'Union européenne qui émet le plus de CO2, et elle ne dispose d'aucune centrale nucléaire. Soucieuse de diversifier ses sources d'énergie, elle veut en construire deux de 3 000 mégawatts chacune d'ici 2024, un projet de 8 à 12 milliards d'euro. Mais Varsovie entend également investir 12,5 milliards d'euros pour exploiter ses gisements de gaz de schiste évalués à près de 2 milliards de mètres cube. Ces réserves, si elles étaient avérées, placeraient la Pologne en 3e position parmi les pays européens riches en gaz derrière la Norvège et les Pays-Bas, selon l'Institut national de géologie. La Pologne consomme environ 14 milliards de mètres cubes de gaz par an, dont les deux tiers lui sont fournis par la Russie. L'exploitation commerciale de son gaz de schiste pourrait lui assurer une indépendance énergétique par rapport au grand voisin russe. Pour le ministre du Trésor Mikolaj Budzanowski, la priorité doit être donnée à l'exploitation des hydrocarbures. Concernant l'énergie nucléaire, la décision finale sera prise au plus tôt fin 2014 ou début 2015, a-t-il dit mercredi devant le Parlement. Trois grands consortiums internationaux ont jusqu'à présent manifesté leur intérêt pour le programme nucléaire polonais : les français EDF/Areva, le groupe américano-japonais Westinghouse Electric Company LLC, et le consortium américano-japonais GE Hitachi Nuclear Energy Americas. Les sociétés d'Etat vont réaliser la stratégie du gouvernement qui consiste à diversifier les sources d'énergie afin d'offrir à la Pologne une entière sécurité et une indépendance par rapport aux fournisseurs extérieurs. Cela signifie la poursuite du programme nucléaire et le développement très intensif du programme du gaz de schiste, a insisté le Premier ministre. Quatre groupes contrôlés par l'Etat (PGE, Tauron Polska Energia, Enea et le géant du cuivre KGHM) ont signé en septembre une lettre d'intention pour coopérer dans le projet nucléaire. Ces quatre groupes, associés au gazier polonais PGNiG contrôlé par l'Etat, ont aussi signé début juillet un accord de coopération pour exploiter le gaz de schiste d'ici à 2016. Nous devons nous préparer à plusieurs scénarios, commente Witold Orlowski, expert de Pricewaterhouse Coopers, soulignant qu'actuellement personne ne peut être sûr que la Pologne a suffisamment de réserves de gaz de schiste. Mais, ajoute-t-il, pour une entreprise, ils ne peuvent pas se permettre d'avoir en même temps deux programmes de développement. Dans son édition d'avant-hier, le quotidien national Rzeczpospolita soulignait en citant d'autres analystes que les déclarations des représentants du gouvernement sur l'alternative gaz ou nucléaire doivent préparer l'opinion publique à une nouvelle situation. Si les réserves de gaz de schiste s'avèrent suffisantes, la Pologne disposera peut-être de suffisamment d'énergie sans avoir à dépenser 50 milliards de zlotys (12 milliards d'euros) dans le nucléaire.