Nolens volens, la banque centrale du Japon (BoJ) a signé, hier, avec le gouvernement un accord précisant leur obligation d'agir ensemble pour débarrasser le Japon de la déflation et lui garantir une croissance durable, avec des objectifs chiffrés correspondant aux desiderata du Premier ministre Shinzo Abe. "Le gouvernement et la Banque du Japon se sont entendus pour mener conjointement une politique renforcée afin d'en finir rapidement avec la déflation et permettre au pays d'atteindre une croissance économique durable sur fond de stabilité des prix", ont-ils écrit dans une déclaration conjointe. Arrivé au pouvoir le 26 décembre, M. Abe, a fait de la lutte contre la déflation et l'arrêt de l'ascension du yen la clef de voûte de sa politique économique. Depuis une quinzaine d'années, le Japon se bat contre la déflation sans la terrasser pour de bon. Ce phénomène pernicieux de recul des prix au détail, entretenu par un écart trop grand entre l'offre trop abondante et la demande atone, entraîne une guerre des prix permanente pour attirer des clients peu enthousiastes. Le tout décourage l'investissement des entreprises, freine la progression des salaires et dissuade les ménages d'effectuer des achats, faute de revenus suffisants et dans l'espoir de tarifs ultérieurs encore plus avantageux. Pour inverser cette spirale négative, la BoJ et le gouvernement ont décidé de viser une inflation de 2%, une hausse qui doit entraîner l'activité économique. Cet objectif correspond en fait à ce que la BoJ appelle "stabilité des prix" qu'elle définit comme "une situation où les différents agents économiques, dont les entreprises et familles, prennent leurs décisions de consommation et d'investissement sans se préoccuper des évolutions générales des tarifs". Autrement dit, un état économique où tout le monde achète d'abord en fonction de ses besoins au moment où ils se font ressentir, sans se dire tous les jours "attendons, ce sera moins cher demain" ou "j'en ai pas besoin mais j'achète pour revendre plus cher". Or, pour le moment, particuliers et entreprises sont d'autant plus dégoûtés d'acheter qu'ils n'ont pas confiance en l'avenir et constatent en outre que les biens acquis récemment perdent chaque jour un peu plus de valeur. Revenu au pouvoir le 26 décembre après un premier mandat raté en 2006-2007, M. Abe, qui est plus connu comme fin stratège politique que comme grand clerc en économie, s'est persuadé que, puisque tout ce qui a été tenté contre la déflation et face au yen cher a échoué, c'est qu'on a été trop timoré, qu'il faut être plus audacieux. Son prodigue ministre des Finances, Taro Aso, ne dit pas autre chose: "face à la déflation, arrêtons de penser qu'on n'a jamais commis d'erreur", a-t-il déclaré récemment. La banque du Japon aurait été tellement obnubilée par le risque d'une inflation excessive que cela l'a empêchée de viser jusqu'à présent plus de 1%. A cette pression politique s'ajoute celle des marchés qui spéculent tant et si bien sur les décisions espérées que la BoJ était quasi forcée de satisfaire les attentes, sans quoi le retour de bâton aurait pu être sévère au moment où la Bourse a remonté et le yen fortement baissé. De fait, en dépit de son indépendance statutaire, la BoJ a consenti hier non seulement à fixer un objectif d'inflation de 2%, mais aussi à amplifier son dispositif spécial d'achat d'actifs financiers divers, au premier rang desquels figurent des obligations d'Etat. La BoJ va modifier le procédé et "acheter chaque mois pour un certain montant" des actifs financiers, de façon illimitée dans le temps, au lieu d'une enveloppe pour une période plurimensuelle donnée comme c'était le cas jusqu'à présent. Le nouveau montant est fixé à 13 000 milliards de yens (110 milliards d'euros) par mois à partir de janvier 2014, dont 10 000 milliards pour les bons du Trésor et 2 000 milliards pour les obligations d'Etat, le reste étant réservé à des titres divers d'entreprises ou fonciers. Grâce à ces dispositions et à un plan de relance de 20 200 milliards de yens (dont la moitié à la charge de l'Etat) décidé par M. Abe, l'économie nippone devrait atteindre une croissance de 2,3% pour l'année d'avril 2013 à mars 2014 selon les prévisions révisées hier par la BoJ. L'inflation, elle, ne devrait pas dépasser 0,4% dans ce même laps de temps, encore loin de l'objectif visé.